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La politique de l’envie

La crise économique inquiète. Nous sommes tourmentés face à un avenir des plus incertains, et comme chaque fois que l’être humain est confronté à une situation qu’il ne comprend pas ou qu’il ne maîtrise pas, il cherche des boucs émissaires.

Au Moyen-âge, l’Europe était le théâtre de la «chasse aux sorcières». Aujourd’hui, sur fond d’insécurité économique et de lynchage médiatique, on a ouvert la «chasse aux patrons». Depuis plusieurs semaines, les salaires des hauts dirigeants sont étalés dans les journaux, et font l’objet des pires épithètes.

Personnellement, connaître les salaires des PDG ne m’intéresse pas, car en dépit de l’importance que les médias leur accordent, ils sont étrangers à la crise actuelle, et leur plafonnement ne réglera rien. Même si le PDG de mon supermarché préféré travaillait gratuitement, les prix des produits ne diminueraient pas d’un cent, et les caissières ne gagneraient pas davantage. Si le PDG de la Caisse de dépôt offrait ses services bénévolement, les rendements resteraient inchangés. Et même si tous les grands patrons l’imitaient, rien ne serait différent.

Si le fait que certains patrons sans scrupules emploient l’argent des plans de sauvetage pour verser de généreux bonis est effectivement condamnable, il reste que la rémunération de la quasi-totalité des dirigeants fait l’objet d’ententes privées entre deux parties consentantes. On trouverait inacceptable qu’une infirmière fixe le salaire d’un journaliste, ou qu’un architecte décide de la rémunération d’un animateur de radio. Alors pourquoi devrions-nous nous prononcer sur la paie des patrons, alors que la plupart d’entre nous n’avons pas la moindre idée du travail qu’ils effectuent ou des qualités qu’exige le poste qu’ils occupent? Et si on accepte qu’une tierce partie s’immisce dans une négociation privée à laquelle elle n’est pas conviée, où cela s’arrêtera-t-il?

Il est vrai qu’on peut se demander pourquoi les conseils d’administration acceptent de payer des salaires dans les sept ou huit chiffres. Selon le magazine Forbes, la rémunération moyenne des PDG des 500 plus grandes entreprises s’élève à 12,8 millions $. Pourtant, bien des gens accepteraient de travailler pour n’importe laquelle de ces entreprises moyennant à peine 10% de ce montant. Cela signifie-t-il qu’elles ont tort de ne pas les embaucher? Ou ont-elles simplement compris que la compétence a un prix, et qu’un dirigeant bon marché peut finir par coûter excessivement cher?

Cela dit, il existe certainement des patrons qui ne méritent pas leur paie. Mais cela n’est-il pas vrai pour tous les emplois? Ne rencontre-t-on pas des travailleurs incompétents partout? Alors pourquoi s’arrêter uniquement au cas des hauts dirigeants?

Certains répondront que c’est par souci de justice sociale et d’équité. Dans ce cas, pourquoi rester muet face à la rémunération des vedettes ou des sportifs, alors qu’ils empochent des sommes nettement plus importantes que les PDG? Par exemple, la célèbre Oprah Winfrey, dont la fortune personnelle s’élève à 1,5 milliard, a gagné 275 millions l’an dernier. J.K. Rowling a encaissé 300 millions en 2008 pour Harry Potter. Tiger Woods a touché 115 millions et Steven Spielberg, 130 millions. Or, non seulement personne ne remet en question la rémunération de ces vedettes, mais beaucoup de gens les adulent ouvertement.

On pourrait aussi se demander pourquoi personne ne s’intéresse à la rémunération des présidents des centrales syndicales. Ces chiffres permettraient pourtant de faire des comparaisons intéressantes!

Face à tant de paradoxes, il est logique de conclure que ce n’est pas tant la paie qui dérange, mais bien le statut de celui qui la touche. C’est tout simplement la «chasse aux patrons»!

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.

* This column was also published in Le Journal de Québec.

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