Prophètes de mauvaise foi
Depuis le début de la crise immobilière aux États-Unis, les prophètes de l’économie semblent convaincus qu’une récession américaine est imminente, si elle n’a pas déjà débuté. L’économie est d’ailleurs l’un des principaux enjeux électoraux chez l’Oncle Sam. À cela s’ajoutent les journalistes économiques, au comportement moutonnier et aux réactions mimétiques, qui ont perdu leur esprit critique et qui attisent les angoisses en rapportant sans discernement les spéculations les plus pessimistes. Après des mois de distorsions médiatiques au parfum d’apocalypse, il ne faudra donc pas s’étonner si les consommateurs américains affichent une certaine morosité.
Pourtant, les plus récentes statistiques sur l’économie américaine ne permettent aucunement de justifier l’hystérie des oracles de l’économie. Certes, il y a la crise immobilière, mais il serait peut-être temps de la mettre en perspective: les prêts à risque représentent environ 15% du total des prêts, tandis que les clients insolvables constituent 0,6% de ce total. Et même si les prix des maisons ont baissé, ils demeurent nettement supérieurs à ce qu’ils étaient il y a quatre ans. On compare souvent la crise actuelle à la bulle internet de la fin des années 1990. Dans ce cas, soyons rassurés, car l’économie américaine a depuis créé plus de huit millions d’emplois, et a vu sa taille augmenter de presque 20%.
Pour pouvoir déclarer que l’économie est en récession, il faut que le PIB diminue pendant six mois consécutifs. Or, pas un seul mois de déclin n’a encore été enregistré. Le PIB américain a même augmenté de 4,9% au cours du 3e trimestre de 2007, sa meilleure performance depuis 2003. Ce n’est quand même pas mal pour une économie au bord du gouffre!
Quant au taux de chômage, il est passé de 4,7% à 5% le mois dernier. Certes, il accuse une hausse, mais les mêmes analystes qui crient à la catastrophe aujourd’hui oublient qu’un taux de 5% était encore récemment associé au plein-emploi. À cela s’ajoute cette soi-disant débâcle boursière. Non seulement les indices boursiers sont supérieurs à ce qu’ils étaient l’an dernier à pareille date, mais ils affichent une hausse de 80% depuis octobre 2002.
Même si l’économie américaine affiche des soubresauts, elle demeure robuste et a toujours fait preuve d’une remarquable résilience dans l’adversité. Toutefois, un ralentissement de la croissance américaine n’est pas exclu. C’est d’ailleurs ce qui se produit généralement après une période de croissance rapide comme celle enregistrée par nos voisins du sud depuis 2001. Mais affirmer que les États-Unis sont en récession relève carrément de la mauvaise foi.
De toute manière, les prophètes de l’économie ne méritent pas toute l’attention qu’on leur porte. Presque personne n’envisageait l’envol du huard à 1,10$US, ni le baril de pétrole à 100$, ni un taux directeur à 4,25%. Certains avaient même prédit une récession au Canada en 2007! La plupart du temps, les prévisions sont comme les horoscopes… elles ne se réalisent pas, sauf par coïncidence.
Alors, pourquoi faire planer le spectre de la récession? Tout simplement en raison des élections américaines! Comme la situation en Irak se stabilise, une récession serait idéale pour permettre aux candidats de jouer au super héros qui sauvera le pays d’un repli pénible et douloureux. Et puisque la récession n’est pas au rendez-vous, ils créent l’illusion qu’il y en une. À nous de ne pas tomber dans le panneau.
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.