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Non au patriotisme économique

Depuis que le huard gravite autour de la parité avec le dollar américain, les Québécois sont nombreux à effectuer un voyage d’une journée aux États-Unis pour y faire des achats, renouant ainsi avec une habitude qui date des années 1980.

Évidemment, il n’en fallait pas davantage pour relancer le débat à propos de la légitimité du magasinage outre-frontière. Pour chaque Québécois qui déclare avoir fait son épicerie à Plattsburgh, on peut en trouver trois qui qualifieront ce geste d’immoral et de répréhensible. Même le gouvernement québécois a adopté une politique d’achat local, laissant ainsi sous-entendre que le patriotisme économique permet de défendre les intérêts de la nation.

Or, le patriotisme économique est une aberration. On demande aux consommateurs de négliger leur intérêt et d’accepter une réduction de leur pouvoir d’achat en payant plus cher pour la production locale. On leur demande de se «sacrifier» pour préserver une entreprise locale qui ne veut pas, ou qui ne peut pas, concurrencer la production étrangère. Protéger les entreprises non concurrentielles et réduire le niveau de vie de travailleurs qui triment pour gagner leur vie, voilà ce qui est immoral! Et pourquoi devrions-nous faire preuve de patriotisme envers des entreprises qui n’ont aucun scrupule à maintenir des prix élevés malgré la force de notre monnaie?

Pis encore: le patriotisme économique est contre-productif, car il rend inutiles l’effort et l’innovation et incite certaines entreprises à se contenter de leurs méthodes relativement inefficaces. Certes, il permet d’accroître temporairement et artificiellement la popularité des produits québécois. Mais on ne bâtit pas une économie prospère en implorant la pitié de gens pour qu’ils achètent la production locale!

Quant à l’argument selon lequel faire son épicerie à Plattsburgh se traduit par des pertes d’emplois au Québec, il est carrément faux. Pour acheter des produits américains, il faut payer en monnaie américaine. Les Québécois ont donc l’obligation de vendre leurs dollars canadiens pour se procurer des dollars américains. Or, pour qu’ils puissent les vendre, il faut que quelqu’un accepte de les acheter. Et pour quelle raison un Américain acquerrait-il des dollars canadiens si ce n’est parce qu’il a l’intention de se procurer quelque chose au Canada? Peut-être envisage-t-il de visiter Montréal, d’acheter du sirop d’érable ou d’investir chez nous? Chose certaine, un dollar canadien qui quitte le pays finit toujours par y revenir.

Bien entendu, faire ses achats à Plattsburgh nuit peut-être à certaines industries québécoises. C’est le cas notamment de l’industrie agroalimentaire dont les prix sont gonflés aux stéroïdes en raison d’un système de gestion de l’offre. Mais il ne faut pas en conclure pour autant que l’économie québécoise dans son ensemble est désavantagée. Comme la mécanique des échanges implique l’existence d’une contrepartie à chaque transaction, il en résulte que nos achats outre-frontière permettent ultimement de favoriser nos industries exportatrices ou de financer nos projets d’investissements.

Il faut donc se débarrasser de ce sentiment de culpabilité que certains font naître en nous chaque fois que nous faisons des achats à Plattsburgh, car ce sont précisément ces courts voyages qui contraignent les commerçants canadiens à nous faire bénéficier de l’envolée du huard. Les vrais patriotes ne sont pas ceux qui acceptent de payer plus cher pour les produits locaux, ce sont ceux qui, par leurs voyages, imposent aux entreprises québécoises des réductions de prix qui profitent à l’ensemble de la population!

* This column was also published in Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.

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