Oui à 10 000 travailleurs de plus
Le Québec reçoit 45 000 immigrants par année. Si nous optons pour le scénario fort élaboré par le ministère de l’Immigration, la province en accueillera 15 000 de plus en 2010. En fait, sur le plan économique, il s’agit d’intégrer seulement quelque 10 000 travailleurs de plus, une fois retranchés les conjoints et les enfants qui ne se destinent pas au marché du travail.
Est-ce trop? Je ne crois pas. Le chômage au Québec est aujourd’hui à son niveau le plus bas depuis trois décennies. De nombreux employeurs peinent à recruter des travailleurs qualifiés et leur croissance s’en trouve freinée. Nous constatons maintenant des pénuries dans des occupations requérant moins de qualifications. Anecdote: une résidence pour personnes âgées ne parvient pas à pourvoir un poste de nuit de préposé aux bénéficiaires. Historiquement, les immigrants acceptent les emplois sur lesquels les travailleurs nés ici lèvent le nez.
Les départs à la retraite des baby-boomers vont accentuer les pénuries. Et il y aura moins de nouveaux arrivants sur le marché du travail pour les remplacer. Selon Emploi Québec, leur nombre chutera de 235 000 en 2005-2010 à 80 000 en 2010-2015. Le déclin de la tranche de population de 15 à 64 ans devrait débuter en 2012, pour un repli de 50 000 personnes jusqu’en 2015. Il y aura sans doute plus de travailleurs âgés, mais on ne peut que spéculer sur leur nombre. Bref, 10 000 travailleurs immigrants de plus par année ne m’apparaît pas excessif, et peut-être même insuffisant pour stabiliser le marché du travail. Attendons-nous à une pression à la hausse sur les salaires.
C’est du profil des futurs immigrants dont il faudrait plutôt se préoccuper. À quel moment pourront-ils répondre à nos besoins en main-d’oeuvre une fois sur place et après une mise à niveau de leur formation? Leur intégration sera-t-elle facile ou ardue?
Nous avons, je crois, une vision tronquée du phénomène de l’immigration: nous nous voyons en train de contrôler une sorte de robinet de candidats homogènes. Or, comme la population native, les immigrants potentiels sont variés. Au sommet de l’échelle: le joueur autonome qui compare des sociétés d’accueil et qui choisit sa destination, notamment en fonction des perspectives professionnelles et d’affaires. Dans le marché mondial des ressources humaines, il est autant l’offreur de son capital humain que le demandeur d’un droit d’établissement. Face à lui, les sociétés d’accueil se retrouvent en concurrence.
Avec le resserrement du marché du travail québécois, nous voilà déjà mieux placés qu’auparavant pour attirer les meilleurs candidats.
Mais il faut pour cela régler des problèmes comme la difficulté de faire reconnaître des qualifications acquises à l’étranger. Il faut aussi continuer de bâtir la «marque Québec» pour nous distinguer des autres terres d’accueil: le fait français, un dynamisme culturel, et, pourquoi pas, la qualité de nos relations intercommunautaires. Il n’y a pas chez nous de Londonistan ni de «zones sensibles» comme dans les banlieues parisiennes. La réflexion en cours sur les accommodements raisonnables est l’occasion de peaufiner notre modèle d’intégration qui déjà, à l’aune de ce que l’on voit ailleurs, peut être vu comme un grand succès pour un peuple minoritaire sur son continent.
Figurer parmi les destinations les plus attrayantes sur le marché mondial des migrations: voilà un pari que le Québec peut gagner!
Paul Daniel Muller is President of the Montreal Economic Institute.