Sécurité d’emploi vs chômage assuré
Il existe toutes sortes de contrats, mais rares sont ceux qui constituent un engagement à vie dont il est pratiquement impossible de se libérer. Même l’engagement que les époux prennent devant Dieu le jour de leurs noces peut être rompu.
Imaginons que, pour assurer la «sécurité du couple», on interdise le divorce. Évidemment, plus personne ne sera disposé à se lancer dans une telle aventure, et à juste titre. Si on peut, à la limite, empêcher quelqu’un de divorcer, en revanche, on ne peut obliger personne à se marier.
Ce qui est logique dans le cas des relations de couple l’est tout autant lorsqu’il s’agit des relations entre un employeur et son travailleur. Mais cette logique semble totalement échapper aux millions de Français qui manifestent depuis quelques semaines contre le «contrat de première embauche (CPE)» qui permet à un employeur de licencier un travailleur de moins de 26 ans au cours des deux premières années suivant l’embauche.
Un jeune risque donc de se faire renvoyer de son premier emploi. Y a-t-il réellement de quoi s’insurger? Néanmoins, le CPE est qualifié de scandale par les partisans du modèle français qui défendent aveuglément la sacro-sainte sécurité d’emploi. Enfermés dans leurs croyances, les manifestants oublient que le taux de chômage des jeunes frise les 25%, voire les 40% dans les banlieues. Jusqu’à maintenant, la seule certitude qu’ont les jeunes, c’est d’être au chômage.
Pourquoi les entreprises n’embauchent-elles pas? Tout simplement parce que les charges sociales qui accompagnent chaque travailleur sont terriblement lourdes, et qu’il est quasiment impossible de licencier des employés incompétents ou dont le poste n’a plus sa raison d’être. Le risque que courent les employeurs lors du recrutement est d’autant plus grand que les candidats en sont à leur premier emploi et qu’il est impossible de les sélectionner en fonction de leurs antécédents. En France, embaucher un travailleur, c’est comme se marier avec un parfait inconnu sans pouvoir divorcer.
La sécurité d’emploi est un magnifique exemple d’une politique bien intentionnée, mais qui nuit magistralement à ceux à qui l’on veut venir en aide. Dans l’espoir de protéger le travailleur, la gauche bien-pensante a fait adopter des lois si contraignantes pour l’employeur qu’il a cessé de créer des emplois.
Un subterfuge
Devant l’échec de ses mesures, elle tente maintenant d’attribuer le taux élevé de chômage à la mondialisation, à l’immigration ou à la main-d’oeuvre bon marché des pays asiatiques. Mais ce subterfuge ne permet pas d’occulter la réalité: c’est la rigidité des lois sur le travail qui est responsable du chômage record! Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les pays dont le taux de chômage est parmi les plus élevés (comme l’Allemagne et la France) sont précisément ceux qui considèrent les travailleurs comme des victimes qu’il faut protéger.
Les manifestants français sont doués pour faire du grabuge, mais ils sont totalement incapables de comprendre que le CPE vise à les aider, car il incitera les employeurs à embaucher des jeunes. Et même si ses derniers se font licencier, ils auront acquis une expérience qui étoffera leurs CV.
Le spectacle qu’offre la France ne devrait pas laisser les Québécois indifférents, surtout lorsqu’on songe aux revendications de nos fonctionnaires. Au contraire, nous devons tirer des leçons de l’expérience des Français et nous assurer de ne pas reproduire leurs erreurs. Avant de réclamer la sécurité d’emploi, il faut répondre à deux questions: vaut-il mieux occuper un poste sans sécurité d’emploi ou être chômeur? Voulons-nous vraiment une société où il est plus facile de divorcer que de licencier un employé?
* This column was also published in Le Journal de Québec.
Nathalie Elgrably is an Economist at the Montreal Economic Institute and author of the book La face cachée des politiques publiques.