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Contributions à l’assurance automobile – Le prix de la fuite en avant

À cause de la détérioration du régime, les assurés devront assumer une hausse des primes ou revoir la couverture à la baisse

Le gouvernement du Québec semble peu enclin à laisser le conseil d’administration de la SAAQ enclencher le processus menant à une hausse substantielle des contributions d’assurance automobile. Si le gouvernement bloque ce processus, il s’ensuivrait un nouveau délai dans la mise en oeuvre du projet de loi 55, adopté en décembre 2004, lequel enjoignait la SAAQ à fixer les primes de façon à éliminer son déficit de financement d’ici 2015 et à retrouver la pleine capitalisation d’ici 2020.

En reportant le moment où le Fonds d’assurance automobile entreprendra son retour vers l’équilibre financier, le gouvernement Charest imiterait celui de M. Landry qui, en fin de mandat, avait repoussé après les élections le débat public sur cette épineuse question.

Les déboires financiers du régime québécois d’assurance automobile sont connus depuis au moins cinq ans. Dès 2000 et chaque année depuis, la SAAQ a averti le gouvernement que les revenus annuels du régime ne suffisaient plus à en couvrir les dépenses, d’où un déficit. En juin 2005, le président de la SAAQ avait même soutenu qu’il fallait hausser les primes de 50% sur cinq ans afin de recapitaliser le régime et d’en assurer la pérennité. Mais devant quelques réactions effarouchées, le gouvernement a hésité tout l’automne, puis en janvier a contremandé la demande qu’il avait faite à la SAAQ d’effectuer une tournée de consultation.

Chronique d’un dérapage annoncé

Le Fonds d’assurance automobile se retrouve aujourd’hui dans une impasse financière même si, durant les années 1990, la SAAQ roulait à ce point sur l’or que le gouvernement se permettait de piger allègrement dans sa caisse pour boucler son budget. Que s’est-il passé?

Le ratio entre l’actif et le passif du régime d’indemnisation depuis sa création indique la capacité du régime à faire face dans le futur à ses engagements envers les personnes indemnisés. C’est le déclin soutenu de ce ratio depuis l’an 2000 qui a poussé la SAAQ à réclamer, de façon de plus en plus insistante, un relèvement des contributions d’assurance qui ont été gelées (sauf une exception) depuis 1994.

L’évolution de ce ratio reflète l’histoire politico-financière du régime. Durant la décennie 1980, une série de facteurs favorables, comme des taux d’inflation annuels inférieurs aux prévisions, des rendements nets supérieurs aux prévisions, des durées d’incapacité inférieures aux prévisions, des hausses de tarifs soutenus, et l’amélioration du bilan routier se sont conjugués pour aboutir à des surplus annuels et l’accumulation d’une importante réserve, atteignant un sommet de 1,5 milliard $ en 1989.

Devant ce magot croissant, le gouvernement décide de prélever d’importantes sommes dans la caisse de la SAAQ. Un total de 2,1 milliards $ sera ainsi détourné vers le Fonds consolidé du revenu de 1987 à 1995. En 1993, cette pratique provoque un recours collectif des assurés contre le gouvernement, les plaignants échouant au terme d’une saga judiciaire qui a abouti en 1997. En l’absence de ces prélèvements, le Fonds d’assurance automobile disposerait aujourd’hui d’au moins 4 milliards $ de plus, soit une somme suffisante pour éviter toute hausse abrupte des primes.

En plus de ces prélèvements directs, le gouvernement du Québec a refilé à la SAAQ, plusieurs dépenses connexes à sa mission. Ainsi ce n’est qu’en 1986 que les assurés commencent à payer la note des services de santé consécutifs aux accidents routiers, une dépense annuelle additionnelle de 89 millions $ en 2004. En 1989, ils commencent à financer le transport ambulancier (51 millions $ en 2004), la Commission des affaires sociales (devenue le Tribunal administratif du Québec) en 1991 (7 millions $ en 2004) et l’adaptation des véhicules pour personnes handicapées en 1997 (7 millions $ en 2001). En 2004 le gouvernement fait marche arrière en retirant à la SAAQ la responsabilité de financer cette dernière dépense ainsi que le transport par ambulance.

À partir des années 1990, on observe une augmentation importante du coût moyen d’indemnisation, elle-même attribuable à l’allongement de la durée moyenne des rentes d’invalidité versées, à la revalorisation des indemnités et à la hausse du coût de la réadaptation et des autres soins de santé.

Toutefois, en dépit de ces facteurs défavorables à la situation financière, le régime parvient à se maintenir en équilibre durant les années 1990 grâce à ses importants revenus de placement, qui lui permettent d’éviter les déficits annuels jusqu’au tournant des années 2000. C’est alors que l’éclatement de la bulle boursière vient plomber les revenus de placement, creuser un déficit de financement annuel et précipiter le déclin du ratio actif/passif.

Comme dans n’importe quel régime d’assurance, les primes payées par les assurés devraient refléter l’évolution des revenus et des obligations encourues. Or, à partir de 1994, la prime reste gelée à 130 $ par an, après avoir déjà atteint 133 $ en 1985. Si la prime avait été indexée à 5% depuis 2001, alors que le ratio actif/passif s’est mis à chuter, elle aurait déjà crû à 158 $ en 2004 et aurait alors procuré à la SAAQ des revenus additionnels de 185 millions $, soit une somme suffisante pour combler le déficit de financement cette année-là.

Leçons pour l’avenir

Placés devant une dégradation marquée de leur régime d’assurance automobile, les assurés sont aujourd’hui devant l’obligation d’assumer une hausse des primes ou de revoir à la baisse la couverture du régime. L’inaction des autorités conduirait inéluctablement à l’érosion de l’actif, qui ira en s’accélérant. Bref, plus on attend, plus cela fera mal.

Le projet de loi 55, adopté en décembre 2004, visait à rétablir en 15 ans la pleine capitalisation du régime en confiant à un «conseil d’experts» indépendant, nommé par le gouvernement, le soin d’aviser la SAAQ au sujet de la fixation des contributions d’assurance. Dans l’esprit du projet de loi, la SAAQ devait être perçue comme une compagnie d’assurance qui doit respecter des principes de prudence comme la pleine capitalisation et ajuster ses primes en conséquence. Or, on peut émettre l’hypothèse qu’en pigeant allègrement dans ses surplus, en décrétant le gel de la prime en dépit des appels de la SAAQ, et enfin en retardant la mise en oeuvre du projet de loi 55, les gouvernements successifs ont installé dans la population la perception que la SAAQ est davantage l’un de ses bras agissants qu’une entité autonome sans lien de dépendance.

De fait, le piège se referme quand les hausses de contributions demandées par la SAAQ pour assurer sa recapitalisation sont perçues par la population comme autant de hausses du fardeau fiscal. Le gouvernement a maintenant fort à faire pour contrer cette perception qu’il a lui-même installée.

Ce piège rappelle plusieurs autres enjeux de politique publique où le report d’une décision impopulaire en a accru l’impact sur les utilisateurs d’un service public ou les contribuables. Ainsi, après avoir tergiversé plusieurs années au sujet d’une hausse des cotisations au Régime des rentes du Québec, on a évité le naufrage au prix d’un important transfert intergénérationnel de fardeau fiscal des baby-boomers vers les générations X et Y. Après avoir gelé la contribution des parents dans les CPE à 5 $ à partir de 1998, le gouvernement a dû la relever de 40% d’un seul coup en 2004, créant de fait un choc tarifaire qui aurait pu être évité. Après avoir gelé les tarifs d’électricité pendant cinq ans, de 1998 à 2003, Hydro-Québec doit maintenant demander des hausses supérieures à l’inflation. Chaque politique de gel tarifaire s’est révélé difficile à modifier.

Ce qui est fait est fait et on ne peut bien sûr réécrire l’histoire. L’erreur du gel des contributions d’assurance à la SAAQ pendant 11 ans sera sans doute payée au prix d’un certain choc tarifaire. Néanmoins, cette histoire a une valeur exemplaire quand on pense à tous les autres enjeux de politique publique où l’intérêt économique à long terme se heurte à des considérations politiques à court terme. Ainsi nous savons déjà qu’une vague de dépenses s’en vient pour la réhabilitation du réseau routier et des infrastructures municipales. Une autre, véritable tsunami celle-là, suit de près pour les dépenses de santé reliées au vieillissement de la population. Il reste à tirer les leçons du cas de la SAAQ et à les appliquer: chaque fois qu’on repousse à plus tard une décision impopulaire, on alourdit le prix de la procrastination.

Paul Daniel Muller is an Associate Researcher at the Montreal Economic Institute.

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