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FORUM / Le logement en crise: Il faut procéder à une déréglementation intelligente et graduelle des marchés immobilier et de la construction

Le 21 décembre dernier, le gouvernement provincial a reçu 37 millions de dollars supplémentaires d’aide fédérale au logement social. Cette somme, qui devrait mener à la construction de 6500 logements (dont 1000 à Montréal), s’ajoutera aux près de 2 milliards de dollars que Québec, Ottawa et les municipalités s’étaient déjà engagés à dépenser dans le logement abordable au cours des prochaines années. Ces nouveaux logements seront vraisemblablement utiles à certains Québécois à faible revenu. On peut toutefois se demander pourquoi, malgré les bas taux d’intérêt et la forte demande, le taux de construction de logements locatifs est présentement 10 fois moins élevé qu’il ne l’était à la fin des années 1980. Ou encore, comment il se fait que, malgré la forte demande de logements abordables, la vaste majorité des nouvelles mises en chantier au Québec sont des résidences pour personnes âgées et des logements de luxe? La réponse la plus plausible semble être qu’un ensemble d’interventions qui visaient à aider les locataires à revenus modiques ont, en bout de ligne, eu l’effet contraire. C’est ce que l’on pourrait appeler les effets inattendus ou pervers de l’intervention étatique, une question que nous allons maintenant examiner plus en détail.

Selon des fonctionnaires de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), l’immigration internationale, l’accroissement du nombre de jeunes adultes et la création soutenue d’emplois au cours des dernières années seraient les principaux motifs de la pénurie de logements abordables. Ces facteurs ont certainement joué, mais ils n’expliquent pas tout. Pour comprendre la crise du logement au Québec il faut également tenir compte d’autres facteurs.

1. La réglementation de la construction

Tout d’abord, du côté de l’offre de nouveaux logements abordables et de la rénovation d’unités plus anciennes, la réglementation sévère de l’industrie de la construction québécoise entraîne une hausse importante des coûts, notamment sur le plan de la main-d’oeuvre. Des propriétaires affirment même que les nouvelles normes imposées par le Code du bâtiment (qui touchent le choix des matériaux, la fenestration, l’isolation, les rampes dans les immeubles, etc.) ont fait doubler le coût des nouveaux logements au cours des vingt dernières années.

L’un des principaux résultats de cette réglementation de l’industrie de la construction est que les propriétaires doivent maintenant investir des sommes plus importantes que s’ils habitaient dans d’autres provinces pour la construction ou l’achat de nouveaux immeubles. Il leur est ensuite difficile de récupérer leur mise.

2. Le contrôle des loyers

La Loi sur la Régie du logement décourage également les investissements privés de diverses façons. Dans un premier temps, elle limite l’augmentation des loyers pour les immeubles de plus de 5 ans, ce qui nuit à la rentabilité des immeubles et décourage les mises en chantier lors des périodes de forte demande. Une plus grande offre de logements se traduirait pourtant rapidement par une pression à la baisse sur le prix des immeubles et donc, ultimement, sur le prix des loyers. Qui plus est, le contrôle des loyers n’incite pas non plus les propriétaires à baisser leur prix en période de surplus de logements car il leur est très difficile de les augmenter par la suite si le marché se resserre.

La Régie du logement décourage également les travaux de rénovation importants, car elle ne permet aux propriétaires d’augmenter leur loyer que de façon très marginale. Par exemple, des travaux de rénovation de 10 000 $ ne pourraient donner droit qu’à une augmentation d’une quarantaine de dollars par mois pour une durée de 20 ans. De plus, il est arrivé que certains nouveaux locataires acceptent une hausse significative du prix d’un loyer pour couvrir des frais de rénovation importants, mais qu’ils exigent par la suite une réduction significative en invoquant devant la Régie du logement le montant facturé à l’ancien locataire. Pour couronner le tout, selon le libellé du projet de loi 26 qui devrait être adopté prochainement, les locataires pourraient exiger une diminution de loyer s’il y a eu réduction des taxes municipales ou scolaires ou encore diminution du coût de l’énergie.

Si le contrôle des loyers favorise à court terme les locataires à faible revenu qui ont la chance d’avoir un logement, il pénalise tous ceux qui sont présentement à la recherche d’un loyer abordable. À long terme, tous les locataires sont perdants, car les propriétaires n’ont tout simplement pas intérêt à investir dans l’entretien des logements existants et la construction de nouveaux édifices.

3. La perte de contrôle de la propriété

Un loyer mensuel a beau être abordable, il n’en demeure pas moins qu’un tel logement vaut au minimum plusieurs dizaines de milliers de dollars. On peut donc comprendre l’insistance que mettent les propriétaires à tenter de savoir à qui ils confient leur investissement. Et le projet de loi 26, qui sera de toute évidence adopté durant l’année, créera de nouvelles embûches pour identifier ou se défaire d’un locataire à problème.

Les propriétaires sont également en train de perdre le contrôle sur leur investissement avec la cession de bail. Traditionnellement, un locataire qui devait quitter son loyer pouvait le sous-louer, ce qui en pratique voulait dire qu’il demeurait responsable du logement qu’à l’échéance du bail un propriétaire pouvait remettre sur le marché. Un jugement de la Cour du Québec a toutefois reconnu la légitimité de la cession de bail, c’est-à-dire qu’à moins d’un motif sérieux et justifié par écrit de la part du propriétaire, un locataire peut céder son bail à qui il le veut. En cas de cession, l’ancien locataire n’a plus de responsabilité envers le propriétaire et à l’échéance le nouveau locataire peut demeurer dans le logement avec tous les privilèges reconnus par l’État québécois à l’ancien locataire. En pratique, la cession de bail signifie qu’un propriétaire n’a plus le droit de choisir ses locataires.

4. La complexité du système et les délais

Outre la complexité du cadre réglementaire, il y a la lourdeur des procédures et des délais importants. Par exemple, le délai habituel pour entendre une cause autre que le non-paiement de loyer est d’au moins un an. De plus, le délai pour les non-paiements de loyers est théoriquement de 45 à 60 jours; mais la plupart des propriétaires attendent plusieurs mois avant de recourir à cette procédure.

Comment relancer la construction de logements abordables de façon durable?

Depuis 1994, le gouvernement du Québec a dépensé, à lui seul, plus de 1 milliard de dollars dans le domaine du logement, dont près de 850 millions ont été consacrés au logement social. Toutefois, malgré ces mesures, la crise du logement ne s’est aucunement résorbée durant cette période. Au contraire, elle s’est même aggravée. Le 1er juillet 2002 nous donnera probablement encore droit à des situations pathétiques de familles à la rue.

Soyons clair, une certaine classe de locataires trouvera toujours difficilement preneur et, en conséquence, des dépenses dans le logement social peuvent constituer une aide véritable pour ces derniers. Toutefois, il est souhaitable que l’État cesse de nuire à l’ensemble des propriétaires d’immeubles locatifs et de causer par le fait même, du moins en partie, des crises du logement telles que celle que nous connaissons aujourd’hui. Autrement dit, la mise en chantier de nouveaux logements sociaux financés par les contribuables ne constitue qu’une partie de la solution. Pour régler de façon durable la crise du logement au Québec il faudra aussi procéder à une déréglementation intelligente et graduelle des marchés immobilier et de la construction.

Michel Kelly-Gagnon is President of the MEI.

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