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Plus on réglemente, moins on produit – Ce n’est pas la déréglementation qui cause les pannes en Californie

L’opinion courante sur la crise de l’électricité en Californie est qu’elle découle de la déréglementation. La cause est pourtant tout autre: ce n’est pas un libre marché de l’électricité qu’on a instauré dans cet État, mais plutôt un système semi-réglementé, qui n’a fait qu’empirer la situation en empêchant la loi de l’offre et de la demande de s’appliquer.

En 1998, les prix de l’énergie étaient à leur plus bas (10 $ le baril de pétrole) et l’opinion irréfléchie des producteurs-distributeurs d’électricité était qu’ils allaient rester bas indéfiniment. L’État de Californie partageait cet avis et choisissait alors de déréglementer le prix de gros de l’électricité, tout en maintenant le contrôle du prix de détail jusqu’en 2002.

Le prix du gros n’était d’ailleurs pas vraiment déréglementé à l’origine: le plan californien imposait aux distributeurs d’électricité de s’approvisionner sur un marché spot unique, à des prix variant d’heure en heure. Ce marché avait été implanté et contrôlé par l’État, qui interdisait aux distributeurs de conclure des contrats à long terme avec leurs fournisseurs, les producteurs d’électricité. Comme cela s’est passé en Angleterre, la Californie choisissait également de démanteler les grandes sociétés d’électricité en imposant une séparation stricte entre les activités de production, de transport et de distribution.

À court terme, la situation semblait avantageuse pour tout le monde. Toutefois, dans les deux années suivantes, le prix de l’énergie est monté en flèche de 10 $ à 30 $ le baril dans le cas du pétrole, et dans des proportions similaires pour le gaz naturel et le charbon.

Loin de profiter de la conjoncture qu’ils avaient mal prévue, les distributeurs d’électricité ont été pris de court. Ils se sont, du jour au lendemain, retrouvés coincés entre leurs prix de vente qui étaient bloqués et leurs coûts d’approvisionnement qui explosaient.

Le maintien d’un contrôle partiel des prix, même temporaire, a eu des conséquences désastreuses. Il a découragé l’entrée sur le marché californien de nouvelles firmes susceptibles de proposer de nouvelles options aux consommateurs. Il a refroidi l’ardeur des États voisins. Il a également supprimé tout signal qui aurait dû inciter les usagers à répondre à la pénurie croissante par des changements de comportement et un plus grand effort pour économiser l’énergie.

Bref, les distorsions se sont fait sentir aussi bien sur le plan de l’offre que sur celui de la demande. Si l’on ajoute à cela les restrictions environnementales proverbiales de la Californie en matière d’installation de nouvelles centrales électriques, la crise était prévisible. L’offre d’électricité est pratiquement restée stable depuis quatre ans, alors que la demande a crû au rythme de 14% par an. Les deux plus gros offreurs sont maintenant au bord de la faillite.

Il n’y a qu’une seule solution efficace et durable: libéraliser intégralement le marché de l’électricité, celui du gros et celui à la consommation. Le prix grimpera initialement, mais la demande déclinera en conséquence. L’offre augmentera, car les producteurs voudront accroître la capacité et importer des kilowatts de l’extérieur de l’État. En quelques mois, la crise ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

La Californie nous donne l’exemple d’une déréglementation ratée, mais on trouve aussi des réussites dans ce domaine, ailleurs aux États-Unis et dans le monde. En Pennsylvanie par exemple, l’État le plus avancé en matière de libéralisation de l’électricité, les particuliers choisissent leur fournisseur, et l’on ne souffre pas des mêmes déboires qu’en Californie.

L’Institut économique de Montréal lancera le 30 mai prochain un volume intitulé La libéralisation des marchés d’électricité au Québec et dans le monde. Les deux auteurs, l’économiste français Henri Lepage et le québécois Michel Boucher, y traitent respectivement des multiples exemples de déréglementation aux États-Unis, en Europe et ailleurs dans le monde. Ils évaluent aussi la performance du monopole public qu’est Hydro-Québec.

Le plus tragique serait en effet que l’échec californien remette en question un mouvement de déréglementation et de libéralisation qui est en marche depuis plusieurs années et qui a déjà des effets positifs là où il s’appuie sur des concepts économiques prudents et rationnels. Les mythes sur la déréglementation doivent être combattus, au Québec, avec plus de vigueur, car ce débat est bien moins avancé chez nous qu’ailleurs en Amérique du Nord ou en Europe.

Il faut donc répéter que ce n’est pas la déréglementation qui est un «échec colossal et dangereux», comme l’a affirmé le gouverneur démocrate de Californie Gray Davis, mais bien la tentative de l’État de profiter en partie du marché tout en continuant à le réglementer de façon irresponsable. Comme l’explique en effet avec justesse M. Henri Lepage, «la concurrence s’organise, on ne l’organise pas». L’échec attend toute réforme qui contredit cette loi fondamentale.

 

Jean-Luc Migué is Associate Researcher at the MEI, Michel Kelly-Gagnon is President of the MEI.

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