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Les chirurgies, l’attente et la « vision globale » – partie 1

Le plus récent rapport de la Vérificatrice générale, publié début mai, contient comme d’habitude une foule d’informations intéressantes sur les petits et grands dysfonctionnements de l’État. Un chapitre entier est consacré aux chirurgies effectuées dans les hôpitaux du Québec.

On y apprend entre autres qu’une proportion importante (environ 40 %) de chirurgies liées au cancer sont réalisées en dehors du délai fixé par le ministère de la Santé (cible de 28 jours), et que cette proportion atteint 8 % pour les chirurgies non liées au cancer (cible de six mois pour certaines de ces chirurgies). Derrière ces pourcentages, il y a les angoisses et les souffrances d’environ 50 000 Québécois qui sont opérés hors délai chaque année.

Pire, le ministère mesure mal les délais (très longs quand on se compare à d’autres pays), puisqu’il ne prend en compte qu’une partie de l’attente, soit celle à partir du moment où le chirurgien remplit la requête pour qu’un patient soit opéré.

Cela signifie que le chemin de croix du patient pour consulter un médecin de famille (pour ceux qui en ont un), subir des analyses de laboratoire ou des examens d’imagerie, recevoir les résultats, être dirigé vers un spécialiste et éventuellement le consulter (ce qui peut se compter en mois), n’est pas pris en compte.

Comme le Québec fait également mauvaise figure pour l’accès aux médecins de famille et aux spécialistes, le portrait réel est probablement bien pire que ce que l’on mesure présentement. D’ailleurs, certains hôpitaux limitent le nombre de patients qu’ils inscrivent sur leur liste d’attente s’ils ne pensent pas être en mesure de les opérer à temps. À défaut de soigner les patients, on soigne les statistiques…

Le rapport mentionne aussi une proportion relativement élevée de salles d’opérations fermées, un taux d’utilisation de ces mêmes salles qui pourrait être meilleur et des chirurgiens qui n’opèrent pas autant qu’ils le devraient. Soyons optimistes et voyons le bon côté des choses : ça ne semble pas difficile de faire mieux.

Le ministre de la Santé répond pour sa part que les rapports de la Vérificatrice sont toujours « un peu alarmistes », puisqu’ils se concentrent sur les chiffres. Pourtant, quand les statistiques lui sont favorables, le ministre n’hésite pas à les brandir.

Les remèdes

Parmi les remèdes proposés, la Vérificatrice générale en propose qui vont de soi, comme l’amélioration des données afin de mesurer si elles sont atteintes, ainsi qu’un meilleur accès aux données de la RAMQ, afin de mieux évaluer les coûts et la valeur des services reçus. En effet, tout ce qui favorise une plus grande transparence est bienvenu. (L’annonce du retour du Commissaire à la santé, dont la qualité des rapports obligeait les politiciens à rendre des comptes, est une bonne nouvelle en ce sens.)

Une autre recommandation qui va de soi est de changer le mode de financement des hôpitaux afin que le patient représente un revenu, et non une dépense. Ce ne serait pas trop tôt, certains pays d’Europe ont mis de telles solutions en place il y a plus de 20 ans.) Présentement, comme les hôpitaux sont financés sur une base historique, un hôpital qui traite plus de patients augmente ses frais, mais ne reçoit pas plus d’argent.

Ce qui est frappant dans tout ça c’est comment, année après année, les mêmes problèmes réapparaissent à peu près sous les mêmes formes. Les gouvernements et les ministres changent, et les patients continuent à patienter. Comme à l’habitude, les solutions sont connues et la Vérificatrice en propose quelques-unes qui sont tout à fait pertinentes. Mais au fil des années, les gouvernements ne les appliquent qu’en partie, à reculons ou pas du tout, ce qui fait qu’on relit les mêmes manchettes depuis trente ans.

Un des problèmes est qu’on espère toujours qu’une autorité centrale, toute-puissante et omnisciente planifie les besoins pour le Québec en entier. La Vérificatrice générale participe à cette fiction lorsqu’elle reproche au gouvernement de ne pas avoir de « vision globale » et qu’elle lui demande « d’établir une répartition optimale de l’offre de services chirurgicaux et la mettre en œuvre ».

Le gouvernement, le nôtre ou un autre, n’aura jamais de « vision globale », et aucun ministre, qu’il soit radiologue, neurochirurgien ou astrophysicien ne sera jamais en mesure « d’établir une répartition optimale ». Il faut aller dans le sens contraire et décentraliser.

On s’en reparle très bientôt.

Patrick Déry is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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