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Le nombrilisme agricole

Les images de manifestations monstres contre la hausse draconienne des prix des aliments ont fait le tour du monde. La crise alimentaire continue d’être un problème majeur pour les pays en voie de développement, bien qu’elle soit moins d’actualité ici par rapport aux autres crises de nature économique. Le mouvement altermondialiste n’a pas manqué l’occasion de contester la libéralisation des marchés et de proposer de la remplacer par la souveraineté alimentaire. Pourtant, la souveraineté alimentaire représente une solution simpliste et naïve préconisant le repli des pays sur eux-mêmes. Derrière la rhétorique bien-pensante, il s’agit en réalité d’un programme pour favoriser les producteurs agricoles des pays riches au détriment des agriculteurs des pays en développement et des consommateurs du monde entier.

La souveraineté alimentaire mise d’abord sur le protectionnisme agricole, en refusant que les entreprises s’exposent à une plus grande concurrence afin d’offrir des produits de qualité à prix abordable aux consommateurs. Pourtant, la concurrence étant source de création de richesse et d’innovation, elle renforce donc la justice sociale.

Dans un deuxième temps, la souveraineté alimentaire implique l’autosuffisance de chaque pays, un concept dangereusement superficiel. En principe, afin d’offrir une alimentation abordable à sa population et une production maximale de nourriture, un pays doit se concentrer sur ses avantages comparatifs. Tout le monde y gagne. Oui, les pays deviennent interdépendants, mais cette interdépendance est la meilleure garantie de la paix sur la scène internationale. Les pays qui importent davantage de nourriture qu’ils en exportent ne sont pas réellement à la merci de ceux qui font le contraire, puisque ces derniers ont autant besoin du commerce pour obtenir des produits et services essentiels à la vie de leurs propres citoyens.

Le mouvement protectionniste agricole amplifié par la crise alimentaire compromet la capacité mondiale de production agricole. En effet, plusieurs pays ont bénéficié de la libéralisation des marchés. Des progrès substantiels ont été observés au cours des trois dernières décennies, et la sous-alimentation dans les pays en développement a diminué de 37% à environ 17%. Le commerce international a contribué à sortir des millions de personnes de la pauvreté et de la famine.

L’utilisation de semences transgéniques a particulièrement aidé la cause du commerce international ces dernières années. Les biotechnologies agroalimentaires ont permis à plusieurs paysans d’augmenter leur productivité et de se sortir de la pauvreté. Bref, une plus grande ouverture des marchés aux importations de produits agroalimentaires stimule l’activité économique à l’échelle mondiale.

Le savoir transgénique a évidemment un important rôle à jouer dans l’accroissement de la production mondiale agricole, un aspect fondamental à l’accroissement de la richesse des pays du sud. Dans plusieurs pays en voie de développement, le génie génétique en agriculture permet de maîtriser des maladies et des parasites foudroyants et d’augmenter la productivité. Certains pays du sud doivent composer avec un climat qui ne pardonne tout simplement pas. Les semences transgéniques offrent une opportunité inouïe aux agriculteurs qui cherchent d’autres moyens pour réduire leurs pertes et les frais de production. Les offres de sociétés semencières en matière de culture transgénique résistante aux herbicides et aux insectes ravageurs deviennent donc attrayantes pour les paysans de l’hémisphère sud.

Par contre, il faut faire attention. La question de l’accès à l’alimentation pourrait se transformer en question d’accès technologique. Par l’entremise des cultures transgéniques, certaines multinationales imposeraient leur domination aux producteurs agricoles des pays en développement en les contraignant à renouveler leurs achats de semences annuellement, alors qu’aujourd’hui, toutes ou une partie de leurs semences dérivent de leur précédente récolte. De surcroît, les méthodes de production agricole doivent changer dans les pays du sud sans nécessairement ouvrir la voie à une plus grande cristallisation du pouvoir des multinationales en biotechnologie. De plus, il faut aussi mieux saisir les risques longitudinaux de la culture transgénique.

D’accroître l’usage des semences transgéniques sans accentuer la recherche scientifique sur l’impact environnemental de ces semences serait absolument irresponsable.

Sous sa forme actuelle, le commerce mondial crée beaucoup d’inégalités puisque certains pays riches, pris en otage par la puissance politique de leurs producteurs agricoles, refusent de cesser de recourir aux subventions, au dumping, à des tarifs douaniers exorbitants et à la gestion de l’offre. Le partage technologique entre les nations doit être encouragé davantage, surtout entre les deux hémisphères. Le meilleur espoir pour neutraliser ce genre de pratiques est le Cycle de négociations de Doha parmi les membres de l’Organisation mondiale du commerce, qui n’a toujours pas réussi à aboutir. La conclusion d’un accord offrirait l’occasion de rééquilibrer les règles commerciales en faveur des pays en développement, tout en favorisant les consommateurs de la planète.

L’utilisation du génie génétique en agriculture est donc souhaitable dans la mesure où la dominance des multinationales en biotechnologie est contrôlée. En contrepartie, l’échec de Doha risquerait de saper le système commercial multilatéral et de créer une vague protectionniste sans fondement solide. Le protectionnisme de la souveraineté alimentaire ne pourra qu’endommager davantage une situation économique mondiale déjà assez précaire. Bref, en tant que pays riche, il faut outrepasser nos intuitions nombrilistes. Il est peut-être difficile, pour ceux qui n’ont jamais souffert de malnutrition eux-mêmes, de percevoir cette forte corrélation entre justice sociale et création de richesse. La justice sociale pour l’ensemble de la population mondiale passe par le libre-échange et la culture transgénique.

Sylvain Charlebois is Associate Researcher at the Montreal Economic Institute.

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