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Fixer le prix des aliments serait absurde

La Fondation des Maladies du Cœur (FMC) s’indigne de voir que le prix des aliments de base varie énormément au Canada. L‘étude révèle une énorme disparité entre les prix des aliments sains au Canada. Par exemple, un paquet de 6 pommes qui coûte 0,90 $ à Peterborough en coûte 5,49 $ à Sudbury. Cette même étude démontre que bien se nourrir coûte moins cher à Québec ou à Jonquière qu’à Montréal, où le panier d’épicerie demeure tout de même beaucoup plus abordable qu’à Dawson, au Yukon, ou même qu’à Saskatoon. Bref, la FMC a du mal à expliquer ces différences et demande une stabilisation des prix. Quoi qu’il en soit, lorsque l’on passe au crible ce genre de rapport, il faut être extrêmement prudent avant de présenter un constat indéfendable.

D’abord, les auteurs ne semblent pas considérer les forces qui influent sur la distribution alimentaire. Outre les coûts de transport, il faut considérer les coûts reliés aux pertes, à l’emballage et à l’entreposage. De plus, en regardant les prix des aliments au détail, il faut prendre en considération les cycles de production et les ententes contractuelles qui lient souvent les distributeurs et détaillants à des contraintes logistiques difficilement contournables. Parfois, de changer les prix d’une semaine à l’autre est pratiquement impossible. Par exemple, lorsque le prix des commodités alimentaires a augmenté l’été dernier, les consommateurs ont observé une augmentation du prix des pains et pâtisseries seulement 3 mois plus tard.

Un autre élément non négligeable est le phénomène des «loss leaders». La stratégie du «loss leaders», souvent utilisée par les détaillants en alimentation, est une approche où l’on vend certains produits à perte pour attirer une nouvelle clientèle. De surcroît, on utilise certains produits comme des appâts. En raison des cycles de production, les produits périssables comme les fruits et légumes sont souvent utilisés comme «loss leader». L’offre de ces produits est archi élastique puisqu’une variation de prix pour ces denrées entraîne presque toujours une variation du volume de la production de ces mêmes denrées. Cette élasticité pèse grandement sur les prix au détail, bien évidemment.

En considérant les rudiments de la distribution alimentaire, il est difficile d’accuser les détaillants alimentaires de quoi que ce soit sans vraiment connaître la nature stratégique des prix fixés. De réglementer le prix des aliments au détail est une idée complètement absurde, voire même irréalisable. Par contre, le message primordial de ce rapport est sans équivoque: Bien se nourrir a toujours été financièrement prohibitif. Depuis plusieurs années, l’industrie agroalimentaire offre aux consommateurs ce qu’ils veulent vraiment: des calories à bon prix et c’est tout.

Tout compte fait, ce changement comportemental en matière de consommation alimentaire doit d’abord venir des consommateurs eux-mêmes. Dans un contexte où le pouvoir d’achat est en berne partout dans le monde, les consommateurs sont invités à investir davantage dans leur alimentation et à mettre temporairement au rencart leurs rêves d’un voyage à Cancún et l’achat d’une nouvelle voiture spacieuse. Néanmoins, jusqu’à maintenant, il est difficile de percevoir des signes de changement. Certains restaurateurs rapides, tel McDonald, voient actuellement leurs ventes augmentées sans cesse et 2009 s’annonce pour être une aussi bonne année. Wal-Mart, le champion des produits alimentaires transformés et abordables, augmente aussi ses profits. Les consommateurs ne sont peut-être toujours pas prêts à investir temps et argent pour mieux se nourrir.

Même si les consommateurs sont responsables de leur budget et votent de par leurs achats alimentaires, les détaillants peuvent toujours tirer leur épingle du jeu en les éduquant davantage. La gestion du temps est un facteur important en cuisine et les consommateurs en ont de moins en moins. Plus triste encore, l’art de bien cuisiner est en voie de disparition. Malgré tout, certains signes prometteurs sur le terrain sont constatables. Certains détaillants et publications font déjà la promotion de recettes de cuisine qui prennent entre 5 à 10 minutes à préparer, au plus. Les repas prêt-à-manger sont de plus en plus populaires chez les détaillants. Les marchés publics abondent de consommateurs avertis. Les détaillants en alimentation qui auront du succès dans les prochaines années se démarqueront en entretenant une relation éducative avec leur clientèle. Par le biais de ces relations, peut-être verrons-nous un nombre accru de consommateurs qui troqueront les calories abordables pour une nutrition bénéfique à long terme.

Sylvain Charlebois is Associate Researcher at the Montreal Economic Institute.

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