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Nourrir la crise alimentaire

Le monde a une énorme capacité de production de nourriture en réserve pour dénouer la crise alimentaire mondiale. Mais ce potentiel a été bridé depuis trop longtemps par le protectionnisme agricole dans les économies développées et, plus récemment, par les restrictions imposées aux exportations dans les pays moins développés.

Contrairement à ce qu’on entend souvent, ce n’est pas l’augmentation de la demande de nourriture dans les pays émergents ou la spéculation qui expliquent la crise actuelle. Outre des catastrophes naturelles comme la sécheresse australienne qui a légèrement diminué la production mondiale récemment, ce sont des politiques gouvernementales malavisées qui sont à blâmer. Il faudra admettre un jour qu’une baisse durable des prix ne sera possible qu’avec l’augmentation de l’offre agricole et son corollaire, le démantèlement du protectionnisme. Cette réforme répondrait tant à l’accroissement de la demande de nourriture qu’au comportement imprévisible de Dame Nature.

Ce débat est difficile au Québec et au Canada, car on peut avoir l’impression que nous profitons des prix élevés à l’international pour tirer les marrons du feu pendant que des populations crèvent de faim dans les contrées lointaines. Mais on ne peut reprocher aux exportateurs le fait que le prix des céréales, de l’énergie et des engrais atteigne des sommets. Le Canada est notamment le plus grand producteur mondial de potasse, un engrais dont l’industrie est concentrée en Saskatchewan et en Alberta. Son prix, tout comme celui d’autres engrais, a aussi été poussé à la hausse par l’expansion de la culture du maïs.

Cette dernière résulte elle-même de la croissance fulgurante de la production mondiale d’éthanol et d’autres biocarburants, largement subventionnée, qui a détourné l’utilisation du maïs de l’alimentation animale et humaine et a entraîné une réduction de la surface des terres utilisées pour la culture du blé et du soja. On estime que jusqu’à un quart des terres dédiées au maïs sera consacré à l’éthanol aux États-Unis en 2008.

Le bonheur des uns…

Cette conjoncture profite à notre économie, mais nuit à l’agriculture de subsistance dans les pays en développement. Les engrais et les carburants ne représentent qu’une faible part du coût des aliments ici, mais la situation est très différente dans les pays peu développés où cette part est substantielle, les aliments y étant significativement moins transformés.

On entend régulièrement que la croissance des revenus à l’échelle mondiale, particulièrement en Inde et en Chine, a provoqué une augmentation de la demande et par conséquent des pressions sur les prix. Le bonheur des uns ne cause pas toujours le malheur des autres : cet enrichissement ne peut expliquer l’explosion du prix des aliments observée ces deux dernières années, car la demande pour les céréales a augmenté de manière continue à un taux de croissance qui n’a pas varié substantiellement depuis dix ans.

La seule solution pour nourrir la planète est d’augmenter l’offre agricole et, à terme, de laisser baisser naturellement les prix. C’est loin d’être impossible, contrairement aux craintes malthusiennes voulant que la croissance démographique finisse par éliminer les demandeurs plutôt que la demande.

Comment y arriver ?

D’abord, les prix agricoles élevés et la conclusion prochaine du cycle de négociations de Doha sont une occasion rêvée de faire progresser le commerce international et de réduire le protectionnisme afin de stimuler les exportations et la production alimentaire. Un système de prix librement établis doit jouer un rôle de premier plan dans l’agriculture mondiale pour que l’offre rejoigne la demande et pour que les agriculteurs du tiers monde augmentent leur production. Le cœur des politiques agricoles traditionnelles des pays développés, y compris le Canada, a été de subventionner l’agriculture. Cela a mené à un surplus d’offre sur les marchés mondiaux, contrecarré les incitations à la production et réduit les investissements en agriculture dans les pays en développement.

Actuellement, on empêche encore une fois le système de prix de faire son travail par le biais de restrictions à l’exportation adoptées dans plusieurs économies en développement, l’objectif étant d’empêcher une hausse de prix à l’échelle locale. Cependant, de telles politiques vont en fin de compte réduire l’offre en deçà des capacités de production et ainsi maintenir les prix mondiaux à un niveau plus élevé que nécessaire.

Ensuite, plusieurs pays pourraient accroître l’offre alimentaire en cultivant les terres qui ne sont pas convoitées pour le développement urbain, particulièrement dans l’ancien bloc de l’Est. Ces pays ont vu leurs surfaces agricoles disponibles augmenter avec la hausse de la productivité permise par l’abandon de l’économie collectiviste.

Finalement, des gains d’efficacité à grande échelle seraient encore largement possibles en utilisant des technologies agricoles plus performantes, par exemple grâce à un meilleur usage des engrais, malgré leur hausse de prix récente. Des technologies semblables ont rendu possible la «Révolution verte» des années 1960 et 1970 en Inde et ailleurs et ont sauvé des millions de personnes de la famine.

Ian Irvine is professor of economics at Concordia University and an associate researcher at the Montreal Economic Institute.

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