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Ayn Rand : défendre le capitalisme sur des bases morales

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Peu de penseurs de la tradition libérale classique suscitent autant de réactions qu’Ayn Rand. Qu’on l’aime ou qu’on la déteste, la romancière américaine née en Russie polarise comme nul autre.

Née à Saint-Pétersbourg en 1905, Ayn Rand – ou Alisa Rosenbaum comme elle s’appelait alors – a vécu la révolution russe, à la suite de laquelle la pharmacie de son père fut confisquée et sa famille, comme beaucoup d’autres, dut traverser des moments difficiles. En 1926, elle parvint à obtenir l’autorisation de quitter la Russie pour rendre visite à des parents aux États-Unis, et elle ne revint jamais.

Son expérience personnelle de la vie sous le très répressif régime communiste lui inspira son premier roman, We the Living, publié en 1936 alors que de nombreux intellectuels chantaient les louanges de la « noble expérience soviétique ». Ce n’était pas la dernière fois que Rand allait défier la sagesse du jour.

En plus de s’opposer à la tendance intellectuelle, Rand a également cherché à choquer avec des titres comme The Virtue of Selfishness, un recueil d’essais publié après We the Living. Comment, en effet, l’égoïsme pouvait-il être une vertu?

Manifestement, le but était d’attirer l’attention des gens. Rand ne prônait pas un égoïsme mesquin et à courte vue. Elle faisait plutôt la promotion d’un intérêt personnel rationnel, ou éclairé. Votre vie est la vôtre et vous avez le droit de la vivre comme bon vous semble. Vous avez le droit de rechercher votre propre bonheur, tant que vous le faites de manière pacifique.

Cette notion selon laquelle l’intérêt personnel est une vertu et que votre vie vous appartient est très attrayante, en particulier pour les jeunes qui aspirent à la liberté. C’est encore plus vrai lorsque cette notion est illustrée dans des romans captivants tels que The Fountainhead et Atlas Shrugged, qui présentent des personnages fascinants qui aspirent à vivre selon leurs valeurs et à s’épanouir.

C’est dans Atlas Shrugged, et dans ses écrits ultérieurs non romanesques, que Rand a explicitement affirmé sa conviction que le principe moral de l’intérêt personnel rationnel avait des implications politiques et économiques évidentes. Plus précisément, si ma vie est la mienne et que votre vie est la vôtre, la société humaine devrait alors être organisée à travers un système de gouvernement limité dont la responsabilité première serait de protéger les personnes et leurs biens.

Rand comprenait et appréciait les arguments pragmatiques avancés par des économistes classiques comme Adam Smith. Elle réalisait que la main invisible du marché amenait les gens à défendre leurs intérêts pacifiques d’une manière qui profite aux autres. Le commerce, c’est indéniable, a de nombreux avantages, et la liberté économique peut et doit être défendue sur ces fondements pratiques.

Mais Rand pensait en outre qu’en plus d’être bénéfique, le capitalisme est moral et qu’une défense plus fondamentale de la liberté économique devait être fondée sur des raisons morales. En bref, si votre vie vous appartient, personne n’a le droit d’utiliser la force contre vous, ce qui signifie que toutes les interactions humaines doivent être volontaires.

En conséquence, lorsque nous interagissons avec les autres, en particulier avec des personnes que nous connaissons peu, nous devons le faire en tant que commerçants. Nous ne devons pas nous poser comme des maîtres ou des esclaves, mais comme des égaux indépendants qui agissent les uns avec les autres « par le moyen d’échanges libres, volontaires, non forcés et sans contrainte – échanges qui profitent aux deux parties selon leur propre jugement indépendant ».

Dans un marché libre, souligne-t-elle encore, la richesse ne peut être obtenue que par une sorte de processus « démocratique », à travers lequel les consommateurs de biens et de services « votent » avec leurs dollars. Et lorsque les gens votent avec leurs dollars, ils ne votent que sur des sujets pour lesquels ils ont les compétences nécessaires pour juger : leurs propres préférences, intérêts et besoins. Comme elle l’écrivait, dans un marché libre, « personne n’a le pouvoir de décider pour autrui ou de substituer son jugement au leur; personne n’a le pouvoir de se désigner lui-même ‟la voix du public” et de laisser ensuite le public sans voix et sans droits ».

Rand était régulièrement accusée d’être « pro-entreprise ». Mais s’il est certes vrai qu’elle a célébré sans vergogne les hommes d’affaires productifs qui contribuent autant à la société, il est également vrai que bon nombre des méchants d’Atlas Shrugged sont des hommes d’affaires. Cependant, contrairement aux entrepreneurs héroïques du roman, ces « capitalistes de copinage » s’enrichissent en s’attirant les faveurs de politiciens malhonnêtes et en influençant la réglementation à leur avantage et au détriment de leurs concurrents nationaux et étrangers.

Si elle vivait aujourd’hui, Rand s’opposerait aux tarifs et aux quotas qui continuent de limiter le libre-échange au nom d’un protectionnisme visant à favoriser certaines industries, ainsi qu’aux subventions et autres privilèges accordés à des intérêts particuliers qui ont l’oreille des gouvernements.

Dans un marché véritablement libre, le gouvernement serait impuissant à distribuer de telles faveurs, et le seul moyen de devenir riche serait de servir son prochain, homme ou femme. Il y aurait, pour utiliser les mots de Rand, une séparation de l’État et de l’économie, et tant les conseils d’administration que la législature s’en trouveraient améliorés.

Jasmin Guénette is Vice President of Operations at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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