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Sirop d’érable : le lent déclin du Québec

Angèle Grenier ne pourra pas vendre son sirop d'érable elle-même, a décidé la Cour suprême. C'est une très mauvaise nouvelle pour Mme Grenier, qui pourrait devoir payer plus de 400 000 $ en amendes à la toute puissante Fédération des producteurs acéricoles de Québec (FPAQ). Mais c'est aussi une mauvaise nouvelle pour toute l'industrie québécoise du sirop d'érable.

Bien que sa production ait atteint des niveaux inégalés, le Québec continuera de perdre des parts de marché à l'échelle mondiale.

Pourquoi? La réponse réside dans la mise en marché des produits de l'érable, qui est contrôlée depuis 2004 par un système de gestion de l'offre. Sous ce régime, les acériculteurs doivent obtenir de la FPAQ la permission de produire du sirop. Et ils ne peuvent pas produire davantage que le niveau fixé par leur quota. Une « réserve stratégique mondiale de sirop d'érable » a même été établie afin de contrôler les prix. La quasi-totalité de la production (plus de 95 %) y est vendue en vrac. 

L'OPEP du sirop d'érable

Le principal élément qui distingue le secteur acéricole des autres secteurs opérant sous gestion de l'offre vient du fait que le Québec est le plus grand producteur au monde, grâce à ses exportations. Dans une telle situation, à l'instar de l'OPEP pour le pétrole, la FPAQ est en mesure d'influencer le prix mondial du sirop d'érable en contrôlant la quantité écoulée sur le marché à partir de la «réserve stratégique».

L'instauration de la gestion de l'offre dans ce secteur a fait en sorte que le prix (ajusté pour l'inflation) du sirop a augmenté de 20 % depuis l'imposition des contingents (de 2,50 $ à 2,90 $/livre). Le prix mondial a grimpé dans les mêmes proportions. 

La FPAQ se trouve dans un dilemme puisqu'elle veut plaire aux producteurs en augmentant les quotas, tout en maintenant des prix plus élevés sur le marché. Les deux objectifs ne sont pas compatibles. Une part considérable des productions annuelles n'a pas été vendue depuis 2010, ceci afin de maintenir des prix plus élevés.

Depuis 2010, seulement 84 % des livraisons en vrac ont été payées aux producteurs. L'an dernier, 45 % de la récolte a été payée, et ce taux est encore plus bas pour le sirop d'érable biologique, soit seulement 36 %. Les producteurs ont donc de plus en plus d'incitations à « tricher » en essayant de vendre le fruit de leur travail sur le marché noir afin d'éviter de subir les contraintes imposées par la FPAQ et de pouvoir être payés immédiatement.

Créer sa propre concurrence

De plus, si la gestion de l'offre permet de maintenir des prix élevés pour les producteurs du Québec, elle le fait aussi pour leurs concurrents au Canada et aux États-Unis qui, eux, n'ont d'ailleurs pas à assumer les inconvénients de ce système. 

Alléchés par des prix élevés, ces producteurs ont déployé des ressources colossales pour augmenter la production en multipliant les entailles – sans avoir à demander de permission pour le faire – et en investissant dans de meilleures installations de transformation. La part de la production mondiale détenue par le Québec est ainsi passée de 80 % en 2004 à 71 % en 2016, alors qu'elle était en croissance avant que le système de contingents ne soit adopté. 

Après avoir dominé le marché mondial du sirop d'érable pendant de nombreuses années, le Québec pourrait ne devenir qu'un joueur parmi d'autres. Ce qui est particulièrement désolant est qu'on a donné à nos concurrents les outils pour nous battre : un prix artificiellement élevé qui rend leurs investissements intéressants, une limite à notre propre production et des restrictions à la mise en marché de nos produits. Le tout assorti d'une taxe à nos producteurs, sous la forme de la contribution annuelle qu'ils doivent payer à leur fédération. 

Comme on a pu le lire dans le rapport Gagné, «le modèle québécois en est venu à favoriser le développement de l'industrie acéricole partout… sauf au Québec». La Fédération peut bien se réjouir de sa victoire légale, après avoir harcelé une entrepreneure qui ne demandait qu'à ce qu'on lui laisse faire ses affaires en paix. La réalité économique va rattraper la FPAQ, tôt ou tard. 

Alexandre Moreau and Vincent Geloso are respectively Public Policy Analyst and Associate Researcher at the MEI. The views reflected in this op-ed are their own.

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