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Textes d'opinion

Protéger la vie privée, mais aussi la liberté de décider pour soi-même

La controverse entourant l’obtention par Cambridge Analytica de données privées récoltées de manière possiblement illicite sur Facebook suscite bien des réactions hystériques. Cette firme spécialiste du « microciblage » de population ayant un profil particulier par des publicités sur les réseaux sociaux aurait contribué aux victoires de Donald Trump et du Brexit.

Alors que se multiplient les appels à la réglementation, les enquêtes et les demandes de comparution de la part des comités parlementaires et organismes réglementaires canadiens, américains et européens, chez nous, la ministre québécoise responsable de l’Accès à l’information, Kathleen Weil, s’inquiète de voir que « ces informations peuvent être utilisées pour détourner la démocratie ».

Un politologue affirmait aussi dans Le Devoir il y a quelques jours que « [q]uand on dresse le profil des électeurs, quand on cible les messages, on atténue l’espace public, on atténue le bien commun. […] Certains électeurs deviennent plus importants que d’autres, et ça, c’est très problématique en démocratie puisque le vote de chaque citoyen est censé avoir autant d’importance ».

Ceux qui connaissent mes positions sur l’importance de la liberté individuelle se doutent bien que la protection de la vie privée me tient à coeur. Mais il faudrait mettre un peu les choses en perspective. S’informer sur le profil des électeurs, avec en plus adresse et numéro de téléphone, et cibler ceux qui ont un potentiel de voter pour vous de façon à « faire sortir le vote », n’a strictement rien de nouveau. C’est ce qu’on appelle le pointage, une technique pratiquée depuis des décennies par tous les partis politiques, qu’on avait l’habitude de faire en personne et avec papier et crayon.

Qu’on puisse aujourd’hui faire du pointage, ou du microciblage publicitaire, grâce à des applications et des bases de données informatiques à grande échelle ne change rien au phénomène. L’informatique et le Web multiplient à l’infini ce qu’on peut faire aujourd’hui, dans ce domaine comme dans tous les autres.

Influencer les comportements électoraux

Je crains que sous prétexte de vouloir protéger la vie privée des citoyens et la démocratie, et de faire échec aux fake news et aux trolls russes, on en vienne à réduire en fait notre liberté de choix et d’opinion. Les réseaux sociaux, et le Web en général, représentent en effet l’une des rares zones où ceux qui ont les opinions les plus variées, y compris des points de vue minoritaires ou politiquement incorrects, peuvent s’exprimer et faire valoir le mérite de leurs arguments.

Par ailleurs, la possibilité de récolter des données et de faire du microciblage est justement ce qui rend Facebook, Google et d’autres plateformes offertes gratuitement attrayantes. On ne devrait aucunement se surprendre que ces données soient récoltées non pas uniquement pour nous vendre des chaussures, mais aussi pour influencer nos comportements électoraux.

Ces entreprises comptent en effet de nombreux employés et font des profits énormes. Cela crève les yeux que leurs usagers s’engagent à un troc : en échange d’un service non initialement tarifé, ils récoltent des données personnelles. C’est d’ailleurs pour cette raison que je refuse d’être actif sur Facebook. On peut bien vouloir adopter plus de législations, mais à un certain point, il faut aussi responsabiliser la population… Le père Noël n’existe pas !

Il existe déjà des paramètres pour contrôler le niveau de confidentialité sur ces plateformes. En réaction à la controverse, Facebook a annoncé cette semaine des mesures pour accroître davantage ce contrôle. Les géants du Web ne peuvent l’être devenus, et le rester, que s’ils offrent aux consommateurs ce qu’ils veulent et s’ils gardent leur confiance. Même sans réglementation additionnelle, ils vont s’adapter.

Si des contrats ou des lois électorales ont été violés, ou des actes illégaux commis, qu’on sanctionne les coupables. Mais qu’on cesse de considérer les citoyens comme des idiots qui ne savent pas ce qu’ils font lorsqu’ils sont en ligne.

Je trouve particulièrement ironique que de prétendus défenseurs de la démocratie veuillent nous empêcher de faire nos propres choix et de porter nos propres jugements lorsqu’il s’agit d’Internet. Comme le notait fort à propos l’auteur Daniel Tourre dans un excellent texte sur le site français Contrepoints, « [c]e peuple ainsi incapable de discerner le vrai du faux sur son mur Facebook à tel point qu’il faille l’en protéger par des juges ou des technocrates, par quel miracle pourrait-il ensuite être capable de discerner la justesse d’un programme ou les compétences d’un candidat ? ».

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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