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Textes d'opinion

ALÉNA: la «balance commerciale» empoisonne l’esprit des politiciens

Le concept économique de « balance commerciale », soit la différence entre les importations et les exportations de biens et de services d’un pays, peut avoir une certaine utilité pour les économistes quand on veut savoir, spécifiquement, dans quelle direction les capitaux bougent.

Toutefois, chez la plupart des politiciens, incluant Donald Trump, le concept de la balance commerciale est invoqué afin de justifier tout et son contraire. Les médias entretiennent généralement eux aussi cette confusion. Ceci est particulièrement vrai dans le contexte des débats et discussions qui entourent les négociations sur l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), qui viennent de s’amorcer.

Soyons clairs, le concept de balance commerciale ne nous dit strictement rien sur la façon dont une société s’enrichit. Dans la majorité des cas, lorsque le concept est utilisé sur la place publique, il s’agit en fait tout simplement d’une réitération de la vieille théorie mercantiliste, qui prédominait aux 17e et 18e siècles.

Or, la théorie mercantiliste est aussi fausse qu’elle est simple. Essentiellement, selon cette façon de comprendre l’économie, si on exporte plus qu’on importe, tout va bien, et plus l’écart en faveur des exportations est grand, mieux les choses vont. Et si c’est l’inverse, soit qu’une économie importe plus qu’elle n’exporte, alors les choses ne vont qu’en s’empirant. S’en suit qu’un pays devrait forcément faire tout ce qui est en son pouvoir pour avoir, selon les Donald Trump de ce monde, un commerce « plus équilibré ». Il faudrait donc forcément avoir un « surplus commercial » avec les autres pays afin de sortir « gagnant » des échanges.

Cette idée est pourtant complètement fausse, et elle est d’ailleurs invalidée par à peu près tous les économistes sérieux depuis plus d’une centaine d’années. Il y a plusieurs raisons pour ceci. Tout d’abord, nous avons tous un « déficit commercial » avec quelqu’un. Par exemple, nous en avons un avec notre épicier! En effet, il est très probable que vous achetez (ou « importez ») davantage de votre épicier que ce que vous lui vendez (ou « exportez »). En fait, vous avez aussi probablement un déficit commercial avec votre dentiste, votre coiffeur ou encore le professeur de musique de vos enfants. Pourtant, est-ce quelque chose qui vous préoccupe, ou qui devrait vous préoccuper? Absolument pas! Et vous avez bien raison.

Étendons maintenant ce raisonnement aux échanges commerciaux entre, disons, Montréal et Laval, ou entre l’Île-du-Prince-Édouard et la Saskatchewan. Vous êtes-vous vraiment déjà inquiété des « surplus » ou « déficits » commerciaux entre ces différents endroits?

L’histoire peut nous aider à mieux comprendre ces explications. Dans les années 1930, les États-Unis ont présenté un surplus commercial pendant 102 mois sur 120. Problème : cette période de « grands surplus commerciaux » correspondait en fait à la Grande Dépression, une période de pauvreté terrible pendant laquelle les États-Unis ont tout fait pour limiter les importations étrangères!

La balance commerciale ne nous informe que d’un côté des échanges entre les pays, à savoir que nous importons davantage que nous exportons, ce qui signifie que l’on envoie des dollars à l’étranger. Autrement dit, les étrangers « achètent » des dollars canadiens avec des biens qu’ils produisent et nous vendent. Mais, ensuite, que font-ils avec ces dollars? Ils ne les enterrent pas secrètement dans leur jardin! Ces dollars représentent pour eux des actifs avec lesquels ils peuvent, par exemple, acheter des actions dans des compagnies canadiennes ou encore des titres financiers émis par des gouvernements canadiens (municipaux, provinciaux ou au fédéral). Ce faisant, ils investissent au Canada, et nous « récupérons » ainsi cette supposée « perte » qui aurait été causée par un déficit commercial.

Qui plus est, ces investissements nous rendent plus productifs et, puisque la productivité est le principal facteur d’enrichissement des nations, nous devenons donc plus riches grâce à cet échange qui a permis aux étrangers d’acquérir des dollars canadiens! Tandis que si nous exportons davantage que nous importons, cela veut dire que nous faisons l’acquisition de devises étrangères. Et cela signifie que nous investissons dans des pays étrangers et qu’une partie des profits générés dans ces pays nous reviendra dans l’avenir. C’est d’ailleurs ce phénomène qui explique une partie des rendements obtenus par nos régimes de retraite. Encore une fois, ce cycle d’échanges de marchandise et de capitaux nous permet, ultimement, d’atteindre un meilleur niveau de vie.

Encore une fois, les (bons) économistes utilisent le concept de la balance commerciale simplement parce qu’ils veulent savoir dans quelle direction les capitaux bougent. Cependant, peu importe la direction des échanges des biens et services, nous sommes plus riches grâce à ces échanges. Et c’est pour cela que 99 % des économistes pensent que la théorie mercantiliste est une vieille idée discréditée, dont la mise en œuvre nous mènerait à notre perte (mémo à Donald Trump et à ses conseilleurs!).

En résumé, lorsque vous entendez un politicien ou un commentateur vous parler de la « balance commerciale » pour vous expliquer que l’on s’appauvrit ou que l’on s’enrichit, selon que celle-ci diminue ou augmente, dites-vous que ce quidam vous propose en fait une vision du monde qui, ultimement, vous appauvrira.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l’Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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