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Textes d'opinion

Privatisation en santé: l’exemple suédois

Le gouvernement du Québec veut centraliser encore plus le système de santé avec son projet de loi 130 : le ministre aura plus de pouvoir sur les dirigeants, la gestion et le fonctionnement des hôpitaux. Le Québec aurait cependant avantage à suivre l'exemple de la Suède, qui a pris avec succès la direction opposée, en plus de tirer profit de la contribution du secteur privé.

Une différence notable avec le Québec est qu'en Suède, l'État exerce un contrôle bureaucratique très limité dans le domaine de la santé. Essentiellement, Stockholm se limite à établir des principes et des lignes directrices, notamment sur la sécurité du patient, et à déterminer l'ordre du jour politique. On est loin du ministère qui décide du menu unique à servir dans tous les hôpitaux, CLSC, CHSLD, etc.

Le financement et la fourniture des services relèvent des 21 conseils de comté du pays. Ces conseils organisent, administrent et supervisent le fonctionnement des services de santé. Contrairement à ce qui se passe au Québec, différentes régions appliquent différentes stratégies. Certaines proposent des incitations financières aux établissements, par exemple en remboursant en fonction du volume d'activités, tandis que d'autres financent leurs hôpitaux en fonction de budgets globaux.

Les administrateurs d'hôpitaux jouissent d'une autonomie substantielle : ils ont toute la latitude pour adapter la prestation des soins à la demande et aux ressources. Ils peuvent également embaucher et licencier des médecins ou d'autres membres du personnel. 

Cela n'empêche pas une intervention politique si un hôpital obtient des résultats médiocres ou dépasse son budget. Les directions d'hôpitaux doivent aussi se plier à la législation en matière de travail, d'environnement, de divulgation des statistiques, et ainsi de suite. Mais il n'y a pas de règles spécifiques ne visant que les hôpitaux et, encore ici, les directions ont toute la latitude pour accomplir leurs tâches.

Le temps d'un virage

En augmentant son emprise sur la gestion et l'administration des hôpitaux, le gouvernement québécois va dans le sens contraire. Cette tendance n'est pas nouvelle, mais cela ne signifie pas qu'un virage ne serait pas bienvenu.

Les approches uniformes et la multiplication des paliers de décision empêchent les expériences nécessaires à l'amélioration de nos pratiques. En plus clair : si nous ne voulons pas lire dans vingt ans les mêmes nouvelles sur les mêmes ratés de notre système de santé, nous devons changer radicalement nos façons de faire. 

Au lieu d'assujettir les dizaines de milliers de travailleurs de la santé à une autorité centralisée, on devrait plutôt les libérer et les responsabiliser. Cela commence évidemment par les dirigeants d'hôpitaux, qui doivent avoir une grande liberté d'action, assortie de l'obligation correspondante de rendre des comptes. La même approche doit être appliquée à celles et ceux qui s'occupent des patients. 

La mise en place d'indicateurs de performance accessibles et transparents serait aussi bénéfique, de même que celle du financement à l'activité. Ce dernier fait en sorte que le patient devient une source de revenus pour l'hôpital, alors qu'il est présentement une dépense. Mais la réforme la plus importante et la plus essentielle serait de permettre au secteur privé de venir appuyer le réseau public et d'introduire la concurrence dans la livraison des soins.

En Suède, de nombreux fournisseurs privés travaillent de pair avec les fournisseurs publics et sont parfaitement intégrés dans un système financé par l'État. Les patients versent une franchise qui couvre une petite partie du coût des frais médicaux et des médicaments. Mais tous les établissements, privés et publics, sont financés de la même manière, avec des fonds publics : le patient suédois accède aux soins avec l'équivalent suédois de la carte-soleil, et non avec sa carte de crédit.

Loin de menacer l'accès universel aux soins, l'intégration du secteur privé à l'approvisionnement des soins a, au contraire, aidé à rendre économiquement viables les valeurs égalitaires suédoises : l'accès à la première ligne est plus rapide qu'au Québec, et l'attente pour consulter des spécialistes ou subir une intervention chirurgicale y est moins longue.

Le modèle suédois, comme bien d'autres, montre qu'il n'y a pas de contradiction entre la prestation privée des soins et l'égalité d'accès, et que la concurrence permet au contraire d'améliorer les services aux patients. Une part importante du succès de ce modèle peut aussi être attribuée à l'autonomie accordée aux hôpitaux, une leçon dont nos politiciens aux tendances centralisatrices auraient avantage à s'inspirer. 

Jasmin Guénette est vice-président de l’IEDM, et Johan Hjertqvist, président de Health Consumer Powerhouse. Ils sont les auteurs de « Les soins de santé en Suède : décentralisés, autonomes, concurrentiels et universels » et signent ce texte à titre personnel.

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