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Textes d'opinion

L’arbre qui cache la forêt

Alors que s’ouvre aujourd’hui, à Rivière-du-Loup, le Forum Innovation Bois, qui vise à mobiliser l’ensemble de l’industrie des produits forestiers afin d’élaborer une vision d’avenir, profitons de cette occasion pour revenir sur l’héritage du passé.

Le régime des concessions forestières a été le premier mode de gestion gouvernementale des forêts québécoises à partir du début du 19e siècle, qui s’est poursuivi jusque dans les années 1970. Même si ce mode de gestion présentait de nombreux aspects positifs, cette réalité historique a été complètement noircie par les mythes et demi-vérités véhiculés par les militants écologistes, au point qu’il est très difficile d’en parler de façon rationnelle aujourd’hui.

Compte tenu des difficultés de l’industrie forestière au Québec, qui se manifestent par la fermeture de scieries et par de nombreuses pertes d’emplois, il serait pourtant utile d’avoir un point de vue objectif sur ce qui fonctionnait bien dans notre passé, afin de mettre en place les conditions les plus propices à retrouver le chemin de la prospérité. Mieux comprendre le régime des concessions forestières peut justement nous aider dans cette démarche.

Une concession était un territoire en forêts publiques sur lequel une entreprise obtenait des droits de coupe tout en devenant responsable notamment du reboisement et du développement du réseau routier. Ce territoire était accordé par le gouvernement sans limite de temps, mais conditionnellement au respect de certaines directives du ministère. Généralement, les villégiateurs pouvaient utiliser les chemins aménagés par les entreprises pour s’aventurer dans les forêts publiques et y pratiquer diverses activités.

Même si le gouvernement gardait le contrôle ultime sur les forêts et réglementait leur utilisation, ce mode de gestion se rapprochait d’un régime de propriété privée, avec les avantages que cela entraîne. Étant presque l’équivalent d’un propriétaire, le concessionnaire avait par exemple avantage à investir et à exploiter durablement les forêts qui lui étaient octroyées puisque la profitabilité à long terme de son entreprise en dépendait.

Comme le soulignait le rapport Duchesneau en 2004, à l’exception de quelques cas de moindre importance, les concessionnaires s’acquittaient convenablement de leurs responsabilités.

Sans être parfait, le régime des concessions forestières comportait des éléments essentiels qui favorisent l’entrepreneuriat et la prospérité de l’industrie forestière, soit la prévisibilité et la stabilité à long terme des approvisionnements. C’est d’ailleurs sous le régime des concessions que l’on a observé la plus forte croissance du nombre d’usines, notamment pour les pâtes et papiers.

Malgré cela, le gouvernement a procédé à la révocation graduelle des concessions forestières au début des années 1970 dans l’optique d’augmenter le niveau des récoltes annuelles. Oui, vous avez bien lu. Pour le gouvernement, les entreprises ne coupaient pas assez de bois. C’est quand même ironique, non? Les entreprises voulaient gérer à long terme leur territoire pour s’assurer de toujours avoir du bois et le gouvernent s’en plaignait!

En 1987, les concessions forestières maintenant disparues, le gouvernement s’est donné la responsabilité de déterminer les volumes de bois disponibles à la récolte dans les forêts publiques. Cette transformation n’allait pas s’avérer si avantageuse pour les entreprises, les régions forestières et les travailleurs, ni pour la forêt elle-même.

Le documentaire-choc de Richard Desjardins lancé en 1999, L’Erreur boréale, laissait croire que les compagnies forestières transformaient les forêts en désert. Peu après, Pierre Dubois, un ingénieur forestier interviewé dans ce même documentaire, publiait une seconde édition de son livre Les vrais maîtres de la forêt québécoise pour renchérir sur la thèse de la surexploitation causée par l’industrie forestière qui payent des redevances « dérisoires » et « ridicules ».

Selon nos soi-disant défenseurs de la forêt, celle-ci était en voie de disparition, la catastrophe était inévitable et le gouvernement devait intervenir encore davantage. Pourtant, ce qu’ils dénonçaient n’était pas le résultat de l’irresponsabilité des compagnies forestières, mais bien de la gestion à courte vue du gouvernement.

Le rapport Coulombe, qui faisait suite à une commission mise sur pied par le gouvernement en 2003, mentionnait notamment que le ministère surévaluait la capacité de régénération des forêts et qu’il ne prévoyait pas une marge de manœuvre suffisante pour faire face aux imprévus comme les feux et les épidémies d’insecte. Justement, du temps où elles étaient responsables de l’aménagement, les compagnies forestières se gardaient une marge de manœuvre en prévision de ces mêmes variations.

Ce bref regard historique démontre que les réformes du régime forestier au cours des dernières décennies, qui ont mené à une centralisation et une étatisation toujours plus grandes, visaient à répondre à des problèmes inexistants. La trop grande implication de l’État dans la gestion des forêts publiques n’est pas synonyme de meilleure gestion. Les entreprises et ultimement les travailleurs subissent maintenant les coûts économiques de la mauvaise planification du gouvernement du Québec.

Le nouveau régime n’est cependant pas à rejeter dans son ensemble, notamment parce qu’il rend les ressources accessibles à un plus grand nombre d’acteurs et qu’il impose des normes environnementales parmi les plus rigoureuses au monde. Il n’en demeure pas moins impératif de le réformer pour recréer le contexte favorable à l’investissement qui prévalait sous le régime des concessions.

Avec la collaboration d’Alexandre Moreau, analyste en politiques publiques à l’IEDM.

Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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