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Textes d'opinion

Le libre-échange au-delà de nos frontières… et à l’intérieur aussi!

La directrice du Fond monétaire international (FMI) Christine Lagarde était de passage à Ottawa pour rencontrer le premier ministre Justin Trudeau. Elle en a profité pour, entre autres, louanger la tradition canadienne du libre-échange.

En effet, le Canada peut être fier de ses accords de libre-échange. Depuis l'entrée en vigueur de l'ALÉNA en 1994, un accord qui est encore aujourd'hui cité en exemple partout dans le monde, ce sont dix autres traités de libre-échange qui sont entrés en vigueur. Nous commerçons aujourd'hui plus librement avec Israël, le Chili, le Costa Rica, le Pérou, la Colombie, la Jordanie, le Panama, Honduras, la Corée du Sud, ainsi qu'avec un groupe régional incluant l'Islande, le Liechtenstein, la Norvège et la Suisse.

Certains autres traités de libre-échange ont été conclus mais doivent toujours être ratifiés, comme celui avec l'Ukraine, les pays du Partenariat transpacifique, et l'Union européenne. Ce dernier traité doit être ratifié par chaque pays visé par l'entente et ce processus s'annonce difficile étant donné la réticence envers le libre-échange dans certains pays européens. Récemment, un émissaire du Canada se plaignait de la désinformation dans ces pays, menée par des mouvements antimondialistes marginaux ayant un poids démesuré dans les médias. Christine Lagarde a justement profité de cette visite officielle pour rappeler qu'elle soutient cette entente et espère que « cette passion pour l'ouverture [soit] suffisamment contagieuse, y compris au sein de l'Union européenne ».

En effet, l'ouverture au commerce international est toujours dans l'intérêt des consommateurs, qui sont les grands gagnants. Ils ont ainsi accès à des produits plus variés à prix plus faible. Les entreprises aussi sont gagnantes puisque beaucoup de leurs matières premières, des produits courants ou des biens d'équipement qu'ils utilisent sont produits à l'étranger.

Il est important de souligner les forces de notre économie et les politiques publiques dont on peut être fier. Les nombreux traités de libre-échange en font partie. Bien entendu, ce ne sont pas des traités de libre-échange purs. Dans chacun d'entre eux, typiquement, il y a un nombre impressionnant d'exceptions et de règles complexes qui font que la liberté d'échanger est fortement encadrée.

C'est en partie cette complexité qui explique que le Canada se situe en 58e place seulement pour la « liberté du commerce international » dans le plus récent rapport Economic Freedom of the World, alors qu'au classement général le Canada arrive 9e. Ce résultat décevant est principalement dû au fait que les règles changent énormément d'une industrie et d'un produit à l'autre, allant d'une très grande liberté à une interdiction pure et simple.

D'autres critères de ce rapport font aussi chuter le Canada pour la liberté du commerce international. Il s'agit de la « liberté des étrangers à visiter » le pays, qui est relativement faible selon ce rapport, et aux « barrières commerciales non tarifaires », par exemple la gestion de l'offre qui limite fortement les importations de lait, d'œufs et de volaille.

Pour autant, bien qu'on célèbre le libre-échange avec les pays étrangers, et qu'on souhaite même que cette passion y soit contagieuse, il ne faut pas oublier que les échanges au sein du Canada ne sont pas libres. Le commerce interprovincial est toujours limité par un nombre important de barrières réglementaires. L'exemple dont on entend souvent parler est celui des restrictions entourant la vente de vins et de spiritueux qui limitent l'approvisionnement dans d'autres provinces ainsi que l'achat en ligne. Mais ce n'est que l'un des nombreux exemples.

On limite aussi le commerce interprovincial par la surrèglementation de l'industrie du transport. Certains types de camions ne peuvent être conduits que la nuit en Colombie-Britannique, mais uniquement le jour en Alberta, forçant les camionneurs à attendre à la frontière. Ou encore, certaines provinces réglementent différemment les pneus des camions, forçant les conducteurs à les changer à la frontière de ces provinces. Ou encore, les normes bio qui varient d'une province à l'autre et limitent l'accès aux produits alimentaires d'ailleurs au Canada.

Une étude récente publiée dans le Canadian Journal of Economics chiffre les gains de productivité possible à 100 milliards $, soit l'équivalent de 2700 $ par Canadien. C'est là le coût des obstacles artificiels entre les provinces qui appauvrissent les consommateurs et ralentissent les investissements des entreprises.

Christine Lagarde a bien raison de souligner les nombreux accords de libre-échange auxquels participe le Canada, bien qu'ils ne soient pas parfaits. Cet appui arrive à un moment opportun puisque le traité de libre-échange entre le Canada et l'Europe doit être ratifié prochainement, espérons-le, par les pays de l'Union européenne. Ce devrait toutefois aussi être l'occasion de souligner que ce qui est bon pour le commerce international est aussi bon pour le commerce intérieur. Nous avons autant, sinon plus, besoin du libre-échange entre les provinces canadiennes que des traités de libre-échange internationaux.

Mathieu Bédard est économiste à l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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