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Textes d'opinion

Les taux d’intérêt négatifs pour les nuls

Après avoir maintenu son taux à pratiquement 0% depuis plus de sept ans, la Réserve fédérale américaine a finalement annoncé, le 16 décembre dernier, une première hausse. Nous entrons donc dans une nouvelle étape des politiques monétaires dites « non conventionnelles » adoptées par pratiquement toutes les banques centrales du monde après la crise financière de 2007-2008.

Ce nouveau mouvement à la hausse mettra-t-il un frein à la fragile relance de l'économie? Des acteurs économiques devenus accros à l'argent facile pourront-ils s'accommoder des taux plus élevés? C'est ce que tous les observateurs se demandent et ce que nous saurons dans les mois qui viennent.

Ailleurs dans le monde, et en particulier en Europe, plusieurs banques centrales vont dans le sens inverse, en instaurant pour la première fois une politique de taux d'intérêt négatif. Le gouverneur de la Banque du Canada, Stephen Poloz, a d'ailleurs surpris tout le monde, il y a deux semaines, en affirmant qu'il considérait lui aussi cette option en cas de débandade de l'économie canadienne, en se donnant un nouveau plancher de -0,5%.

De prime abord, le concept de taux d'intérêt négatif semble contraire à la logique économique. Qu'est-ce que ça signifie concrètement?

Un taux d'intérêt, c'est la récompense que la banque vous donne pour lui prêter vos épargnes. Elle vous remet ainsi une partie des revenus qu'elle a générés après les avoir prêtées à d'autres, qui ont bien sûr payé un taux d'intérêt un peu plus élevé pour emprunter cet argent. La banque fait des profits avec la différence.

Un taux d'intérêt négatif, c'est lorsque vous payez la banque pour y déposer votre argent. Cela devient alors une pénalité, et non plus une récompense. C'est une situation où l'on décourage l'épargne traditionnelle, qui n'est plus rentable du tout. Il devient au contraire beaucoup plus attrayant d'emprunter, puisque le montant que vous devrez rembourser est moins élevé que celui qu'on vous a prêté.

Le taux d'intérêt à -0,5% auquel réfère la déclaration du gouverneur Poloz ne s'appliquerait toutefois pas à vous, mais aux banques.

Les banques sont un peu comme nous dans la mesure où elles doivent équilibrer leurs entrées et leurs sorties d'argent, en plus de se conformer à certaines exigences réglementaires concernant leurs réserves. À la fin de chaque journée, certaines finissent avec des fonds excédentaires qu'elles peuvent prêter, alors que d'autres doivent emprunter pour couvrir des transactions déficitaires jusqu'au lendemain. Elles se tournent alors vers d'autres banques ou vers la Banque du Canada. On parle de millions de dollars qui sont ainsi déplacés chaque jour.

La Banque du Canada agit sur ce marché où les banques se prêtent de l'argent en fixant son « taux directeur », qui indique le taux cible pour ce financement à un jour. C'est ce taux directeur qui fait les manchettes à chaque annonce de la Banque du Canada, huit fois par année. C'est lui aussi qui se répercute sur les autres taux du marché avec habituellement quelques points de pourcentage additionnels, comme les taux des prêts hypothécaires et ceux sur les certificats de placement garanti et les autres formes d'épargne.

Il faut comprendre que le rôle de la Banque du Canada n'est pas de faire du profit, mais de mener la politique monétaire du Canada et ainsi influencer le taux d'inflation, le taux de change, la croissance et l'économie en général. Pour atteindre cet objectif, elle cherche à inciter les banques à prêter moins ou plus à des particuliers, des investisseurs et des entreprises.

Plus le taux directeur est élevé, plus les banques ont intérêt à déposer en toute sûreté leur argent auprès d'autres banques ou auprès de la Banque du Canada, au lieu de prendre des risques en le prêtant. Et inversement, plus il est bas — et un taux négatif est plus bas que bas! –, plus il devient coûteux de laisser des liquidités importantes dormir dans les comptes d'autres institutions. Les banques préféreront alors les prêter à vous et moi, même à des taux encore plus bas qu'en ce moment, même s'il est peu probable qu'elles nous prêtent un jour à des taux négatifs compte tenu de la marge qui s'ajoute pour qu'elle fasse un profit.

Il faut dire que le taux directeur actuel de la Banque du Canada, +0,5%, est déjà négatif en termes réels, dans la mesure où il est plus bas que le taux d'inflation. C'est-à-dire que la monnaie se dévalue plus vite que ce qu'un tel taux peut rapporter. Une politique de taux d'intérêt négatif ne serait donc qu'une continuation un peu plus radicale de ce que fait déjà la Banque du Canada, et ce que font la plupart des autres banques du monde, y compris la Fed.

Cette mesure s'ajouterait à d'autres politiques monétaires exceptionnelles prises dans plusieurs pays depuis la crise financière, comme l'« assouplissement quantitatif », c'est-à-dire une augmentation importante de la quantité de monnaie en circulation. Ces interventions monétaires, tout comme les plans de relance qui ont amené les gouvernements à accumuler des déficits énormes ces dernières années, sont inspirées des théories de l'économiste britannique John Maynard Keynes.

Ces politiques ont-elles été efficaces? C'est loin d'être évident, et certains économistes pensent que non. Imprimer de la monnaie n'est pas la même chose que produire plus de biens et services. Forcer les banques à prêter toujours plus peut mener à des excès coûteux, comme les hypothèques accordées à des millions d'emprunteurs insolvables qui ont contribué à la crise financière.

À force d'essayer de relancer l'économie en encourageant artificiellement la dépense et l'endettement, on crée peut-être plus de distorsions et d'effets pervers que de relance. C'est pourquoi, des années après cette crise, nous sommes encore en train de débattre des moyens de relancer durablement une économie qui reste fragile.

*Ce billet de blogue a été rédigé en collaboration avec mon collègue de l'IEDM, Martin Masse.

Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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