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Textes d'opinion

Les effets pervers de la gratuité universitaire

Comme je l'écrivais dans un précédent billet, la gratuité universitaire a été la principale revendication des organisations étudiantes lors des manifestations du «printemps érable». Une des principales lacunes de cette solution est qu'elle est profondément inéquitable. Mais ce n'est pas le seul problème.

Les discussions sur la gratuité tiennent pour acquis que la qualité de l'éducation reste la même peu importe les frais de scolarité. Pourtant, rien n'est moins certain. La France avec ses frais d'inscription universitaire quasi gratuits, ou du moins très éloigné du coût total de la scolarité, peut à cet égard servir d'exemple.

En effet, l'expérience française suggère que la gratuité scolaire a un effet pervers sur la qualité de l'enseignement. Le constat dressé par le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche lui-même en 2007 est que 52 % des étudiants échouent leur première année à l'université française. Les coûts de cet incroyable taux d'échec scolaire, toujours selon le ministère, s'expriment en termes de démotivation, peur de l'avenir, retard, chômage, etc. La raison de ce taux élevé d'échec peut se trouver dans la gratuité et la non-sélection à l'entrée.

La gratuité universitaire, accentuée par les bourses d'études, abaisse le coût de l'erreur d'orientation ainsi que le coût lié au fait que l'élève renonce alors à une année de salaire qu'il aurait obtenu s'il s'était directement dirigé vers le marché de du travail. Des jeunes adultes qui auraient autrement été employés, ou qui se seraient davantage impliqués dans leur orientation, se retrouvent alors dans des formations qui ne leur conviennent pas ou ne les intéressent pas vraiment.

La non-sélection vient accentuer ce problème. Des étudiants en provenance de bac pro, plomberie, cuisine ou autre, pour ne nommer que les exemples les plus frappants, se retrouvent par exemple dans des formations qui demandent des compétences en mathématique très élevées comme la licence en science économique.

Mais, de façon peut-être plus importante, la gratuité et la non-sélection ont un effet sur la qualité de la formation, tout particulièrement en première année. Mon collègue économiste Mathieu Bédard, qui a enseigné à l'université française pendant plusieurs années, me racontait récemment comment les classes de première année en France était constituées de groupes difficiles, principalement à cause d'un contingent de près de la moitié des étudiants, voire plus dans certaines filières, qui n'est ni à sa place, ni même intéressé par ses études. Plusieurs étudiants lui ont dit qu'ils n'y étaient « que pour la bourse », ou pour y patienter jusqu'à l'atteinte de l'âge minimal requis pour postuler à certains emplois.

La dynamique pédagogique dans la classe s'en trouve complètement perturbée, et ce même pour les étudiants qui réussiront. Ces derniers n'auront pas accès à un cours aussi dynamique et animé que ce à quoi ils auraient pu s'attendre.

Lorsqu'on prend en compte ces effets sur la qualité de l'enseignement, on se dit que la gratuité scolaire est chère payée.

Le Québec, quant à lui, n'a pas la gratuité comme la France même si les frais de scolarité sont étroitement encadrés par l'État et sont les mêmes pour toutes les universités, et même si les étudiants sont sélectionnés dans une certaine mesure par les universités. On peut s'attendre à ce que la gratuité scolaire, si elle devait être appliquée au Québec, aurait les mêmes effets négatifs sur la qualité de l'enseignement en première année que ce qu'on peut observer en France.

Je n'ai pas observé cette démotivation dans les Grandes Écoles que j'ai visitées ni été confronté à des commentaires sur le sujet par les dirigeants et les acteurs que j'ai rencontrés tout au long de ma visite. Au contraire, j'ai fait la connaissance de jeunes étudiants très motivés par leurs études, pour la bonne raison qu'ils ont travaillés fort pour se retrouver dans les établissements qu'ils ont choisis et qu'ils voient le potentiel énorme qu'une formation de haut niveau peut apporter. Ces jeunes voient leur formation comme un investissement plutôt que comme une corvée. Et c'est compréhensible, puisque cette formation sera très rentable sur le plan financier en raison des salaires et du gain en employabilité que ces jeunes vont y gagner. C'est également rentable pour la société dans son ensemble puisque ces jeunes seront les leaders de demain.

Cette motivation est aussi palpable au sein du corps professoral et de la direction des Grandes Écoles, notamment des écoles de commerce, dans la mesure où les gens jouissent d'une plus grande autonomie que le corps professoral et la direction des universités publiques. Les Grandes Écoles sont agiles, elles expérimentent, elles innovent, encouragent l'entreprenariat et donnent l'occasion à leurs professeurs d'avoir une relation avec leurs apprenants qui n'est pas celle qu'on observe dans un amphithéâtre d'université publique bondée avec 500 étudiants.

Cette proximité entre les apprenants et les enseignants, ce désir d'apprendre contagieux et cette possibilité qu'ont les Grandes Écoles de se renouveler constamment sont des éléments incontournables à la base de cette motivation.

Jasmin Guénette est vice-président de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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