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Textes d'opinion

Le jugement Chaoulli: un rendez-vous manqué

Cela devait être une victoire éclatante pour les patients confinés sur les listes d’attente au Québec. Le 9 juin 2005, le Dr Jacques Chaoulli, qui contestait depuis près d’une décennie devant les tribunaux la légitimité du monopole du gouvernement en matière de soins de santé, remportait finalement son combat.

La Cour suprême du Canada venait de statuer que lorsque le gouvernement est incapable d’offrir un accès en temps opportun aux soins nécessaires, l’interdiction de souscrire une assurance-maladie privée constitue une violation des droits des patients. « L’accès à une liste d’attente n’est pas l’accès aux soins de santé », déclarait la juge en chef Beverley McLachlin dans son verdict.

La décision de la Cour laissait entrevoir plusieurs changements majeurs en matière de politiques de santé au Québec. Pourtant, rien n’a véritablement changé depuis. D’abord, en limitant le nombre de chirurgies admissibles, le gouvernement a fait en sorte qu’aucun marché d’assurance privée ne se développe. Le maintien de l’interdiction de la pratique médicale mixte n’a pas aidé non plus. Évidemment, tant et aussi longtemps que les médecins doivent se désaffilier complètement du réseau public pour pouvoir offrir des services dans le secteur privé, il y aura peu de services privés à assurer.

Ensuite, la nouvelle loi autorisait aussi les hôpitaux publics à conclure des ententes de partenariat avec des cliniques de chirurgie privées pour le transfert d’un certain volume de chirurgies et de traitements. Mais la lourdeur du cadre réglementaire et le manque d’autonomie des administrateurs d’hôpitaux dans la négociation de ces ententes ont fait en sorte qu’il y en ait très peu. Trois ententes de ce type conclues au cours des dernières années ont pourtant permis d’améliorer significativement l’accès dans les hôpitaux publics concernés.

Le gouvernement a également établi à six mois le délai de traitement maximal pour l’obtention des chirurgies de la hanche, du genou et de la cataracte. Contrairement à la croyance populaire, il ne s’agit pas, pour les patients, d’un droit reconnu dans la loi, mais simplement de cibles administratives pour les hôpitaux. Celles-ci n’ont à peu près pas d’effet incitatif : près d’un patient sur cinq attend toujours plus de six mois pour une opération de la hanche ou du genou, et la situation est pire qu’en 2007.

Enfin, un nouveau système informatique a été mis en place afin de suivre l’évolution de l’attente pour divers traitements médicaux et chirurgicaux. Cette base de données nous permet maintenant de constater que les temps d’attente moyens pour les chirurgies électives n’ont pas connu d’amélioration notable au Québec depuis 2008. Ils ont quelque peu diminué pour l’extraction de cataractes (-16 %), mais ont augmenté en contrepartie pour les opérations de la hanche (+22 %) et celles du genou (+10 %). Au cours de la dernière année, les temps d’attente moyens s’élevaient à plus de 15 semaines pour la chirurgie de la hanche et à près de 17 semaines pour la chirurgie du genou, et cela, sans compter le délai d’attente préalable pour obtenir les rendez-vous avec l’omnipraticien et le médecin spécialiste.

En définitive, dix ans après l’arrêt Chaoulli, la déclaration de la juge McLachlin demeure plus pertinente que jamais. Au 31 mars 2015, près de 20 000 Québécois étaient toujours en attente d’une chirurgie depuis plus de six mois dans le système public de santé. Alors que le gouvernement n’est pas en mesure d’offrir un accès aux soins dans des délais opportuns, aucun motif ne justifie le maintien strict d’un monopole dans la fourniture de soins médicalement requis. Il est temps d’adopter les réformes qui s’imposent en s’inspirant des systèmes universels mixtes européens, nettement plus accessibles.

Yanick Labrie est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteur de « L’arrêt Chaoulli et les réformes en santé : un rendez-vous manqué? » Il signe ce texte à titre personnel.

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