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Textes d'opinion

Taxer le tabac? Bien sûr, mais jusqu’à quel point?

Comme l’État québécois peine continuellement à boucler son budget — et ce, malgré les nouvelles et nombreuses ponctions fiscales des dernières années —, il est à prévoir que nos politiciens planchent probablement encore sur la « solution » facile de taxer encore plus les fumeurs. Il s’agit d’un segment de la population sur lequel il fait bon taper. Qui plus est, en le faisant le gouvernement s’attirera les compliments des nombreux groupes anti-tabac (par ailleurs ultra bien financés avec des fonds publics) et se donnera une image, à peu de frais, de « promotion de la santé publique ».

Mais tous ces gens auraient besoin d’un avertissement du type que l’on retrouve sur les paquets de cigarettes.

Taxer toujours plus le Tabac provoque des effets néfastes et inattendus, et peut nuire à la santé budgétaire et à l’équité fiscale.

Ou encore…

Trop de taxes = moins de recettes fiscales

Évidemment, la très grande majorité des gens comprend et accepte le fait que le tabac est un produit taxé à un taux d’imposition plus élevé que d’autres produits. Disons, plus taxés que, par exemple, le lait de maternité ou encore le brocoli!

Le débat devient donc une question de degré. Jusqu’à quel point taxer le tabac? À cet égard, il nous faut garder à l’esprit au moins deux « voyants rouges ». Premièrement, passé un certain seuil, l’effet « courbe de Laffer » mène en fait à une réduction des recettes fiscales — ou, à tout le moins, à une stagnation de celles-ci par rapport aux hausses de revenus que l’on pourrait anticiper si l’on appliquait des projections linéaires de hausse de revenus simplement en fonction des hausses des taux de taxation.

Pourquoi? Parce que lorsque les taux imposition sont déjà élevés, une augmentation de l’impôt incitera les gens à moins travailler, tout comme des taxes élevées à la consommation incitent à consommer moins. Dans le cas du tabac par exemple, dans un premier temps les gens fument moins. Mais comme l’ont démontré plusieurs études, après une réduction initiale du nombre de fumeurs, les utilisateurs restants ont tendance à ne plus réduire leur consommation de tabac. Ce noyau dur est composé des fumeurs dont la demande est beaucoup plus « inélastique », pour utiliser un terme technique.

D’ailleurs, l’évolution historique des recettes de la taxe sur le tabac au Québec montre qu’au-delà de 15 $ de taxes par cartouche de 200 cigarettes, il se produit généralement un « décrochage » entre le montant de la taxe et les recettes fiscales effectivement générées. Cela s’est produit à trois reprises au cours des dernières décennies.

Une deuxième raison explique la baisse des recettes : l’émergence de la contrebande. Lorsque le niveau de taxation devient trop élevé, les fumeurs se tournent vers d’autres sources d’approvisionnement, licites ou illicites, comme les achats transfrontaliers ou encore le marché noir.

Au Canada au début des années 1990, à la suite d’une hausse des taxes sur le tabac de 19 $ à 35 $ par cartouche entre 1989 et 1993, un vaste commerce illégal de cigarettes s’est développé. La part de la contrebande est passée de 1 % du marché canadien du tabac en 1987 à environ 31 %. à la fin de l’année 1993. Cette contrebande a entraîné des pertes fiscales évaluées par le ministère des Finances lui-même à près de 1,3 G$, de 1990-91 à 1993-94. En fait, certaines études estiment qu’au début de 1994, près de 65 % des cigarettes achetées au Québec provenaient de ce marché noir.

Et devinez quoi? Lorsqu’en février 1994 les gouvernements ont abaissé les taxes (fédérales et provinciales) de 71 % au total, cela a freiné la contrebande, et rétabli les ventes légales et les recettes de l’État. Celles-ci ont même retrouvé leur niveau de 1993 dès 1997, mais avec un taux de taxe pourtant trois fois moins élevé!

Malheureusement, les politiciens ne semblent pas avoir appris la leçon, puisque les taxes ont de nouveau été haussées à de multiples reprises à partir de 2001. Or, comme on pouvait s’y attendre, ce fut le retour du marché noir, qui accaparait déjà une part estimée à 27 % de l’ensemble du marché du tabac en 2008.

Une taxe qui frappe durement les pauvres

Soulignons enfin que les taxes sur le tabac — qui comptent déjà pour près des deux tiers du prix moyen d’un paquet de cigarettes au Québec — sont fortement régressives, dans le sens où elles affectent les personnes à bas revenu de façon disproportionnée.

La consommation de tabac chez les plus pauvres est 50 % plus élevée que chez les plus riches. En 2009, les ménages les moins nantis qui fument ont dépensé 869 $ par an, soit 5,2 % de leur revenu, uniquement en taxes sur le tabac. Les fumeurs québécois les plus riches ont pour leur part consacré 1778 $ en taxes sur le tabac. Bien que ce montant soit plus important en chiffres absolus, il ne représente en fait que 1,4 % de leur revenu moyen.

Autrement dit, la taxe sur le tabac au Québec frappe les pauvres presque quatre fois plus durement que les riches, soit 5,2 % de leur revenu versus 1,4 %!

Une solution facile, mais mal avisée

La tentation sera toujours grande pour un gouvernement d’augmenter les taxes sur le tabac et autres produits jugés nocifs pour la santé. Ce type de prélèvement est plus facile à justifier auprès de la population et génère moins d’opposition, par exemple, qu’une autre hausse de la TVQ.

Espérons que les décideurs publics gardent à l’esprit l’aspect régressif de ce type de taxes, et les effets « non attendus » que peuvent avoir des hausses continuelles de taxes sur les recettes fiscales et sur la contrebande, avant de tenter de piger encore une fois dans la poche du noyau dur de fumeurs et fumeuses qui n’a pas encore écrasé.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

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