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Textes d'opinion

À l’occasion du Jour de la Terre, célébrons les bienfaits écologiques de notre chaîne d’approvisionnement alimentaire mondiale

Texte d'opinion publié en exclusivité sur ce site.

Si seulement nous prenions le temps de les apprendre, les leçons de l’histoire sont souvent très éloquentes. Ainsi, dans un article de 2008 du National Geographic, le journaliste Charles Mann explique comment les politiques de gestion des sols en Chine communiste ont conduit à la création d’une agriculture en terrasses dans des conditions inadaptées, à l'abattage des arbres et à la plantation de céréales sur les pentes raides. Les principales conséquences furent une plus grande érosion des sols ainsi que l'épuisement des sols.

Osant défier les édits officiels, certains villageois ont replanté de l'herbe et des arbres sur le tiers de leurs terres les plus abruptes et le plus sujet à l’érosion, ils ont couvert un autre tiers de vergers productifs et ont concentré l’ensemble de leurs récoltes sur le reste de leurs exploitations sur le terrain plat qui avaient été enrichies par le sol nettoyé en provenance des collines. Comme le mentionne Mann, en faisant un meilleur usage de leur approvisionnement limité d'engrais sur les meilleures terres, les villageois dissidents sont parvenu à augmenter les rendements à un point tel qu'ils ont plus que compensé les pertes liées à l’abandon de la terre qui n’était plus cultivée. Ils ont donc réussi le tour de force de non seulement accroître la production mais également de réduire l’impact environnemental.

L'agriculture à haut rendement et le commerce à longue distance ont longtemps produit des résultats similaires dans le monde entier, à savoir des produits alimentaires abondants et bon marché avec un impact environnemental réduit. Comme l’a souligné le théoricien marxiste Karl Kautsky en 1899 dans son ouvrage classique Sur la question agraire, «Tant qu’une économie rurale est auto-suffisante, elle doit produire tout ce dont elle a besoin, indépendamment du fait que le sol soit approprié ou non. Les céréales doivent être cultivées aussi bien sur un sol peu fertile avec des pierres et en forte pente que sur des sols riches.» Cependant, avec le temps, le développement de meilleures zones de production comme les Prairies du Canada n’ont plus rendu nécessaire la production de céréales sur des sols plus pauvres, «et où les circonstances le permettaient, ces terres furent retirées de la zone de production de céréales et remplacées par d'autres types de production agricole» comme les vergers, les bovins ou des vaches laitières. L’exportation de produits alimentaires de zones de production où l'eau était abondante vers des consommateurs vivant dans des régions où ce n’était pas le cas a également limité la nécessité de drainer les eaux de surface et les nappes phréatiques dans de nombreuses régions parmi les plus sèches au monde.

Malheureusement, dans notre époque d’obsession pour les émissions de carbone, les militants alimentaires locaux (ou locavores) ont adopté la notion de «kilomètres alimentaires», c’est-à-dire la distance que les produits alimentaires parcourent entre la ferme et les consommateurs, comme l'alpha et l'oméga de l'impact environnemental de la production agricole. Pourtant, comme il a été documenté à plusieurs reprises de manière rigoureuse dans de nombreuses études d’évaluation du cycle de vie, la distance parcourue par les aliments est un indicateur sans aucune valeur du développement durable.

D’autre part, la production alimentaire nécessite en général beaucoup plus d'énergie que le fait de déplacer les produits agricoles, en particulier lorsque des quantités importantes de chauffage et/ou de technologies de protection du froid, l'irrigation, les engrais, les pesticides ainsi que d’autres intrants sont nécessaires pour produire des biens alimentaires dans une région mais pas dans un autre. Le fait de réduire les kilomètres alimentaires signifie généralement une plus grande empreinte écologique compte tenu de l'utilisation de ressources supplémentaires dans des endroits moins désirables pour la production.

Un autre problème réside dans le fait que la distance parcourue par les aliments importe moins que le mode de transport. Par exemple, l’envoi dans un navire porte-conteneurs de nourriture à l'autre bout du monde a une plus petite empreinte par article transporté qu'un court trajet en voiture à l’épicerie pour acheter une petite quantité de ces mêmes articles.

Les progrès réalisés dans les technologies de transport et de conservation ont historiquement fait augmenter l'importation de denrées alimentaires périssables produites à différentes latitudes et fait diminuer le stockage et la production alimentaire locale, permettant ainsi d’offrir aux consommateurs une plus grande fraîcheur et de réduire les coûts ainsi que la consommation d'énergie. Le fait d’importer des pommes de Nouvelle-Zélande dans l'hémisphère nord en avril plutôt que de conserver dans des chambres froides pendant plusieurs mois des pommes locales cueillies en septembre permet donc de fournir des produits plus frais tout en réduisant les coûts de stockage (principalement la nécessité de maintenir des concentrations de CO2 plus élevées, des températures inférieures à la température ambiante pour empêcher le dépérissement des produits, ou des températures supérieures à la température ambiante pour éviter le gel) ainsi que les pertes liées à la détérioration des produits.

Malgré le fait que les marchés agricoles ne soient pas parfaits, en raison notamment des nombreuses subventions et du protectionnisme, les prix du marché permettent néanmoins de tenir compte de l'impact environnemental dans la production alimentaire en incluant les coûts supplémentaires inhérents à la production dans des lieux économiquement moins désirables. En cette Journée de la Terre, faisons la chose la plus verte en abandonnant le locavorisme et en préparant notre repas avec la nourriture la plus abordable que nous puissions trouver. Nous ferions ainsi une faveur à la fois à votre porte-monnaie et à la planète.

Pierre Desrochers est professeur associé de géographie (Université de Toronto Mississauga), chercheur associé à l'Institut économique de Montréal et co-auteur de The Locavore’s Dilemma. In Praise of the 10,000-mile Diet (PublicAffairs, 2012).

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