fbpx

Textes d'opinion

L’État, plus que l’entreprise, menace la vie privée

Il y a du positif à tirer des récents scandales d’espionnage gouvernemental : les chiens de garde de la vie privée portent une attention grandissante sur la source principale de la menace.

La Presse révélait vendredi que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada souhaitait la création d’un poste d’inspecteur général aux services du renseignement pour protéger le public, dans la foulée des révélations du consultant américain Edward Snowden sur les activités de la National Security Agency (NSA).

Les organismes de supervision n’ont pas les outils nécessaires pour contrôler les échanges d’informations entre les différentes branches des services du renseignement, soulignait un document de travail. L’idée a finalement été écartée, car jugée trop complexe à mettre en œuvre.

On peut débattre de la pertinence ou non d’un tel poste. Mais il faut se réjouir du fait que la commissaire concentre de plus en plus son attention sur le risque que pose l’État face à la vie privée des citoyens. On peut trouver que certaines entreprises ont accès à trop de nos données personnelles, et questionner l’usage qu’elles en font parfois. Mais objectivement, il faut reconnaître que les gouvernements sont, de loin, une bien plus grande menace à notre vie privée.

D’ailleurs, on apprenait la semaine dernière que la NSA était au courant depuis deux ans de l’existence de la faille informatique appelée Heartbleed — dont on parle beaucoup depuis deux semaines, et qui permet aux pirates informatiques de récupérer des données sécurisées en accédant aux serveurs des ordinateurs. Selon Bloomberg, la NSA aurait même régulièrement exploité la faille pour obtenir des renseignements confidentiels au lieu d’alerter le public, laissant ce dernier vulnérable aux attaques informatiques de toute sorte.

Rappelons enfin que des documents secrets révélés par Edward Snowden montrait qu’Ottawa avait permis à la NSA d’espionner des Canadiens lors des sommets du G8 et du G20 en 2010. En fait, l’agence américaine collaborait de près avec notre version canadienne, le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC), qui s’adonne lui aussi à l’écoute électronique des citoyens et au piratage informatique, selon la CBC.

Si l’intention du Commissariat à la protection de la vie privée de répondre à ce problème en créant un poste à cette fin ne s’est pas matérialisée, cela constitue à tout le moins un pas dans la bonne direction. Jusqu’ici, les médias et les autorités concernées semblaient plus occupés à taper sur les doigts des entreprises qui utilisent certaines informations d’internautes recueillies sur des sites web pour leur vendre des produits et services. Il est légitime en soi que des craintes pour le respect de la vie privée puissent être soulevées dans le cadre de certaines pratiques commerciales. Mais la quantité et la qualité d’informations recueillies, leur usage et les violations potentielles du respect de la vie privée n’ont aucune commune mesure avec ceux des gouvernements et de leurs agences d’espionnage.

D’ailleurs, et c’est un autre aspect inquiétant dans ce dossier, les grandes entreprises d’Internet comme Google ou Facebook sont souvent forcées d’obéir au gouvernement et de dévoiler des informations concernant leurs utilisateurs. Et dans certains cas, le gouvernement prend lui-même l’initiative de subtiliser ces informations.

Dans notre économie où les données personnelles (big data) sont au coeur de plus en plus de modèles d’affaires, ces informations sont généralement utilisées afin de fournir des publicités ciblées — une pratique avec laquelle le public semble en accord, pourvu qu’elle soit bien encadrée.

Si on veut protéger la vie privée des citoyens, il faut donc non seulement exiger beaucoup plus de transparence sur les programmes secrets des gouvernements, mais aussi protéger les entreprises de l’appétit de ces mêmes gouvernements pour les données personnelles qu’elles recueillent.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal. Il signe ce texte à titre personnel.

Back to top