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Textes d'opinion

Attention de ne pas trop réglementer Internet

Avec la croissance fulgurante d'Internet et l'utilisation grandissante qu'en font les Canadiens, les questions liées à la protection de la vie privée prennent de plus en plus de place dans le débat public. Surtout depuis les révélations selon lesquelles une agence de sécurité américaine aurait obtenu des données auprès de grandes entreprises de téléphonie et d'Internet.

Cette histoire a soulevé plusieurs craintes, qui sont justifiées. Après tout, le gouvernement demeure l'organisation ayant le plus grand accès à nos données personnelles. Mais qu'en est-il des entreprises privées, avec lesquelles nous transigeons librement pour des produits et services de notre choix?

La réglementation d'Internet en ce qui a trait à la protection de la vie privée répond à un besoin légitime, celui de protéger les utilisateurs. Toutefois, toute nouvelle réglementation est susceptible de modifier l'écosystème économique où elle s'applique. Et comme dans toute industrie, plus il y a de réglementations, plus les entreprises doivent utiliser des ressources (comme du temps et de l'argent) qui ne sont plus disponibles pour d'autres usages, comme investir dans de nouveaux équipements, ou explorer de nouveaux marchés. Au final, c'est souvent le consommateur qui finit par payer la facture. Soit en payant plus cher pour les mêmes produits et services, soit par une moindre diversité de produits.

En 2011, la firme Mckinsey Global Institute calculait que l'Internet comptait pour 11 % de la croissance du PIB des économies de 13 pays étudiés, dont le Canada, au cours des cinq années précédentes.

En Europe, où une réglementation plus sévère a été appliquée dans le but de protéger la vie privée des consommateurs sur Internet, la réglementation restreint entre autres la capacité des publicitaires de recueillir des données dans le but d'offrir des publicités ciblées. Selon des chercheurs de l'Université de Toronto et du MIT, cette réglementation a réduit l'efficacité des publicités, en moyenne, de 65 %. Le résultat est qu'un annonceur qui veut atteindre le même résultat qu'auparavant en termes d'intentions d'achat chez l'internaute doit acheter 2,85 fois plus de publicités.

En conséquence, le consommateur pourrait être exposé à plus de publicités, et ces publicités seraient moins efficaces, rendant la tâche plus difficile pour un annonceur qui cherche à rejoindre une clientèle cible. La législation européenne a aussi eu pour effet de réduire l'investissement en capital de risque dans les entreprises européennes de publicités en ligne.

Au Canada, un récent rapport d'un comité de la Chambre des communes, après avoir entendu plusieurs experts, a souligné l'importance d'établir un équilibre « entre, d'une part, le désir des entreprises de médias sociaux d'innover et de mettre à l'essai de nouveaux produits et services et, d'autre part, le juste niveau de protection des renseignements personnels des Canadiens ». Le rapport ne recommande pas d'imposer de nouvelles règles, mais de faire en sorte de mieux se conformer à la réglementation actuelle.

D'ailleurs, pendant que les législateurs réfléchissent à la question, les entrepreneurs, eux, sont déjà à l'œuvre. En ce moment, plusieurs entreprises d'Internet se concurrencent pour gagner la confiance des internautes, en développant et en offrant aux utilisateurs des outils de protection de leurs données. On assiste également à l'éclosion de nombreuses entreprises qui se spécialisent dans la protection de la vie privée sur Internet.

Dans les discussions qui ne manqueront pas d'avoir lieu sur ce sujet, il faudra s'assurer de tenir compte des effets moins visibles de la réglementation, en particulier de ses impacts économiques. L'objectif est d'arriver à un équilibre entre le besoin légitime de protéger la vie privée et le maintien d'un climat favorable aux investissements, à l'innovation et à la création d'emplois dans cette industrie cruciale pour notre avenir.

Michel Kelly-Gagnon est président et directeur général de l'Institut économique de Montréal, David Descôteaux est chercheur associé à l'IEDM. Ils signent ce texte à titre personnel.

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