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Textes d'opinion

L’ivresse du pouvoir

L’engorgement des salles d’urgence ne date pas d’hier. Au fil des décennies, les ministres de la Santé qui se sont succédé avaient tous un « plan » pour soulager le système.

En 1990, Marc-Yvan Côté constitue un « groupe tactique d’intervention » pour désencombrer les urgences. En 1998, ce groupe publie un rapport dans lequel il propose des mesures pour que la durée moyenne à l’urgence ne dépasse pas 12 heures et pour qu’aucun séjour de plus de 24 heures ne soit enregistré. En 1999, Pauline Marois annonce son « plan d’action » pour réduire le temps d’attente dans les urgences. En 2005, Philippe Couillard affirme sa volonté de réduire à 12 heures ou moins le séjour moyen dans les urgences et de faire disparaître tout séjour de 48 heures ou plus.

Résultat? On attend aujourd’hui en moyenne plus de 17,5 heures dans une salle d’urgence contre 15,9 heures, en 2006. Quant aux séjours de plus de 48 heures, c’était au tour du ministre Yves Bolduc d’annoncer, cette semaine, son intention de s’y attaquer. Or cette déclaration n’émeut personne.

Aujourd’hui, les Québécois sont las des voeux pieux et des promesses creuses des ministres, et doutent fortement d’avoir un jour le système de santé efficace qu’on leur promet depuis si longtemps. Il suffit de jeter un coup d’oeil vers le Royaume-Uni pour comprendre leurs inquiétudes.

Le modèle britannique

Rappelons que le système de santé britannique, instauré en 1948, a servi de modèle à l’élaboration du système canadien. Ce que vivent actuellement les Britanniques nous permet donc d’imaginer ce qui nous attend si nous persistons sur la même trajectoire.

Or le pronostic est redoutable. En dépit des innombrables efforts déployés pour maintenir l’offre de services, le Royaume-Uni est maintenant contraint de rationner les soins dispensés de façon importante. Par exemple, le traitement de la cataracte est réservé aux patients dont la capacité à travailler est « substantiellement » réduite; le remplacement de la hanche ou du genou est strictement limité à ceux qui souffrent de douleurs aiguës; quant aux varices, un patient ne peut espérer un traitement que s’il souffre de douleurs chroniques, d’ulcérations et de saignements.

Le rationnement est tel que l’insertion d’un tube de ventilation (pour améliorer l’audition chez les enfants) ne sera envisagée que dans des « circonstances exceptionnelles ».

Enivré

Comme l’alcool, le pouvoir enivre. Notamment, il donne aux ministres de la Santé l’illusion d’être capables de réaliser ce que l’histoire a prouvé impossible: offrir des soins de santé universels, gratuits, efficaces et en temps opportun.

Le ministre Bolduc n’échappe pas à l’ivresse du pouvoir. Mais ne soyons pas dupes: le système de santé britannique d’aujourd’hui, c’est le système de santé canadien de demain.

Malheureusement, pendant que les élus jouent aux apprentis sorciers et expérimentent leurs innombrables plans pour préserver un paradigme voué à l’échec, des malades souffrent, d’autres meurent.

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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