fbpx

Textes d'opinion

Pourquoi pas nous ?

À l’origine, les syndicats répondaient au besoin légitime des travailleurs d’unir leurs forces pour négocier avec leur employeur. Toutefois, depuis plusieurs décennies, ils ne se limitent plus à défendre les intérêts de leurs membres. Ils se sont autoproclamés « défenseurs de l’intérêt général » et s’efforcent d’influencer les décideurs publics. À la CSN, par exemple, les statuts indiquent que la centrale syndicale doit « promouvoir les intérêts professionnels, économiques, sociaux, moraux et politiques des travailleurs », exercer des actions de portée politique, et encourager ses membres à en faire autant.

Certaines de ces actions passent inaperçues aux yeux du grand public. C’est notamment le cas lorsque les syndicats déposent des mémoires auprès des ministères ou qu’ils appuient divers mouvements. D’autres actions sont plus spectaculaires. La manifestation de samedi dernier au centre-ville de Montréal en est un exemple alors que 50 000 personnes ont défilé à la demande de l’Alliance sociale pour dénoncer le prochain budget du ministre Raymond Bachand. Par leur omniprésence, les syndicats constituent incontestablement un groupe de pression puissant que non seulement les gouvernements ne peuvent ignorer, mais avec lesquels ils doivent souvent composer.

Que les syndicats militent pour les causes de leurs choix, c’est leur droit le plus absolu, et personne ne le leur contestera. Au contraire, il s’agit là d’une liberté qu’il faut absolument protéger. En revanche, il importe de s’interroger sur la manière dont ils financent leurs actions politiques. Au Québec, l’obtention d’un emploi est souvent conditionnelle à l’adhésion syndicale, tandis que la « formule Rand » force tous les travailleurs d’un milieu syndiqué à payer leur cotisation. Comme l’activité syndicale profite à tous les employés, il est logique que chacun d’eux assume sa juste part des coûts. Toutefois, les sommes défrayées par les travailleurs ne servent pas uniquement au processus de négociation ou à la constitution d’un fonds de grève. Le syndicat se sert d’une partie des cotisations pour financer ses multiples initiatives d’ordre politique.

Ainsi, 1,3 million de travailleurs sont obligés de payer pour des interventions et pour la promotion d’une idéologie qu’ils n’approuvent pas nécessairement. En l’occurrence, combien de Québécois ont été contraints de financer samedi dernier une manifestation contre l’équilibre budgétaire alors qu’ils y sont favorables? Combien ont payé de leur poche la publication de documents de propagande syndicale alors qu’ils s’opposent à leur contenu? Combien contribuent à la défense de l’avortement alors que c’est contraire à leurs principes? Dans une société qui se veut juste et équitable, comment peut-on encore tolérer que des travailleurs soient contraints de financer des idées et des causes qu’ils condamnent? Comment peut-on rester impassible devant un tel mépris des libertés individuelles?

Dans les 47 pays membres du Conseil de l’Europe et dans 28 États américains, non seulement l’adhésion syndicale est-elle facultative, mais les travailleurs ne sont obligés de payer que la portion de la cotisation servant à financer la négociation collective. Ils sont entièrement libres de contribuer ou non aux activités politiques et idéologiques de leur syndicat. Dans les 22 autres États ayant adopté le « droit au travail », toute cotisation obligatoire est interdite, quelle que soit sa finalité.

Les centrales syndicales se plaisent à affirmer que le syndicalisme est un instrument de libération. Vu leur mode de financement coercitif et antidémocratique, il s’apparente plutôt à un instrument d’asservissement! N’est-il donc pas temps que le Québec modernise la « formule Rand » de manière à permettre aux travailleurs de décider s’ils souhaitent ou non financer les activités politiques de leurs syndicats? Si des millions de travailleurs dans le monde jouissent de cette liberté, s’ils peuvent exercer leur esprit critique en pleine légalité, pourquoi pas nous?

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.
* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Back to top