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Textes d'opinion

Analyse du Régime québécois d’assurance parentale

Article publié exclusivement sur le site de l’Institut économique de Montréal.

Le Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) est un programme du gouvernement du Québec en vigueur depuis le 1er janvier 2006 et qui verse des prestations aux travailleurs lorsqu’ils deviennent de nouveaux parents.

Le RQAP a enregistré un déficit de 180 millions de dollars en 2009[1]. Il s’agit du troisième déficit consécutif de sa courte histoire. Pourtant, ces résultats suivaient des hausses de 8% du taux de cotisation le 1er janvier 2008 et d’un autre 7,5% le 1er janvier 2009.

Le RQAP a remplacé un programme fédéral qui existait depuis une trentaine d’années et qui était financé à même l’assurance-emploi. Le Conseil de gestion de l’assurance parentale, qui avait estimé le coût initial du régime à 1080 millions de dollars[2], prévoyait que 70% des cotisations versées par les contribuables québécois leur seraient remboursées par un rabais sur leurs propres cotisations à l’assurance-emploi. On est loin du compte puisqu’en 2009, la valeur du rabais fédéral ne représente plus que 53% du coût total de 1707 millions de dollars.

À la suite de la hausse rapide des coûts et des déficits répétés, certains ont suggéré au gouvernement de subventionner ce programme plutôt que d’augmenter à nouveau les cotisations. D’autres considèrent que le RQAP est trop généreux et qu’on devrait réviser les prestations à la baisse. Avant de prendre position sur la meilleure façon de résorber le déficit, essayons tout d’abord de connaître les facteurs qui sont à l’origine de l’escalade des coûts et des déficits en série.

Les trois principaux facteurs à l’origine de l’escalade des coûts pour les contribuables québécois sont :

– La hausse des naissances;
– La transformation du marché du travail québécois;
– Le comportement des pères.

La hausse des naissances

Après avoir atteint un plancher de 72 000 naissances en 2000, le Québec a amorcé une lente remontée des naissances jusqu’en 2004. Le rythme s’est accéléré en 2005 avec 76 300 naissances et encore plus en 2006 après la mise sur pied du RQAP. Le nombre de naissances est passé à 81 900 en 2006 puis à 89 100 en 2009[3]. La tendance se poursuit puisqu’on anticipe maintenant 90 000 naissances en 2010[4].

Le nombre de naissances est aussi en hausse dans les autres provinces du Canada, mais à un rythme moins rapide comme on peut le constater en consultant le Tableau 1.

De 255 900 en 2000, on est passé à 265 800 naissances en 2005. On voit une accélération de la hausse à compter de 2006 puisque le nombre de naissances passe à 272 700 cette année-là pour atteindre 291 400 en 2009.

Grâce à l’indice de fécondité, on peut affirmer que la hausse des naissances a été plus importante au Québec que dans le reste du Canada, et ce, à compter de l’année 2006. Même s’il est à la hausse autant au Québec qu’au Canada depuis l’an 2000 (voir Tableau 2), l’indice québécois a connu une croissance plus rapide à compter de 2005 et il dépasse l’indice canadien depuis 2006.

Les couples québécois ont eu 89 100 enfants en 2009, ce qui représente 12 800 naissances de plus qu’en 2005. Plusieurs commentateurs ont attribué l’augmentation des naissances observée au Québec à la mise sur pied du RQAP. Les données que nous venons de présenter suggèrent qu’il y aurait eu hausse de naissances même sans la mise sur pied de ce nouveau programme.

Alors que les naissances québécoises représentaient autour de 28,3% des naissances des autres provinces du Canada de 2000 à 2005, cette proportion a atteint 30,0% en 2006 et 30,6% en 2008 et 2009. Si, après 2005, la proportion de naissances canadiennes provenant du Québec était restée la même, les couples québécois auraient eu 6200 enfants de plus en 2009 qu’en 2005. Comme l’augmentation du nombre de naissances a plutôt été de 12 800 durant cette période, il reste 6600 naissances qui pourraient vraisemblablement être attribuées à la mise sur pied du RQAP. Cela représente un peu plus de la moitié des naissances additionnelles enregistrées depuis le 1er janvier 2006.

La transformation du marché du travail québécois

Selon le Conseil de gestion de l’assurance parentale, l’un des objectifs du RQAP est de «favoriser l’adaptation de l’économie québécoise aux réalités actuelles du marché du travail de façon à atténuer les pénuries de main-d’oeuvre»[5]. Cet objectif est-il en voie d’être atteint?

On observe depuis quelques années une participation de plus en plus grande des Québécoises âgées de 25 à 54 ans au marché du travail[6]. Comme l’indique le Tableau 3, leur taux d’emploi, c’est-à-dire la proportion de ces femmes qui occupent un emploi à temps plein ou à temps partiel, est passée de 71,4% en 2000 à 78,7% en 2007. Le taux d’emploi n’a pas bougé depuis cette date, vraisemblablement influencé par la crise financière qui a secoué l’économie du Québec.

La croissance du taux d’emploi a été tout particulièrement importante en 2002 et en 2007. On a observé un accroissement du taux d’emploi de plus de deux points de pourcentage en 2002 après avoir doublé le budget consacré au programme de services de garde à l’enfance de 1999 à 2002 (voir Tableau 4). Quant à la hausse du même ordre noté en 2007, on peut vraisemblablement l’attribuer à la mise sur pied du RQAP. Ces données suggèrent que le programme de services de garde et le RQAP ont tous deux mené à une transformation rapide du marché du travail québécois.

Cette activité accrue n’est pas l’apanage des Québécoises puisque le taux d’emploi des autres Canadiennes a également progressé au cours de cette période, mais à un rythme trois fois plus lent. Il est passé de 74,8% à 76,7% au cours des dix dernières années. Le taux d’emploi des Québécoises de 25 à 54 ans excède depuis 2007 celui des autres Canadiennes du même âge. C’est un phénomène remarquable puisque ce n’est pas ce qu’on observe lorsqu’on compare le marché du travail québécois avec celui du reste du Canada. Ainsi, 59,6% des Québécois étaient au travail en décembre 2009 contre 61,9% des autres Canadiens.

Si la croissance du taux d’emploi chez les Québécoises depuis 2000 avait eu lieu au même rythme que dans le reste du Canada, on aurait compté 92 000 Québécoises de 25 à 54 ans de moins en emploi au cours de l’année 2009. Les revenus de travail de ces 92 000 femmes ont atteint une somme de l’ordre de 3 milliards de dollars en 2009 seulement[7].

Comportement des pères

Le programme fédéral, qui s’est appliqué au Québec jusqu’au 31 décembre 2005, prévoit des prestations de maternité de 15 semaines et des prestations parentales de 35 semaines. Ces dernières peuvent faire l’objet d’un partage entre la mère et le père, au choix des parents.

Le régime québécois contient lui aussi des dispositions qui permettent le partage des prestations parentales entre les deux parents. On a ajouté toutefois des prestations de paternité de trois ou cinq semaines, selon que l’on choisisse le régime particulier ou le régime de base. Se prévaloir de ces prestations n’a pas de conséquence sur la durée des prestations parentales.

Les prestations de paternité ont connu un succès qui a grandement dépassé les prévisions des concepteurs du RQAP. Ceux-ci avaient prévu des prestations de paternité de 55 millions de dollars au cours de la première année du régime. Le nombre de pères qui se sont prévalus de cette innovation a été beaucoup plus élevé puisqu’on a déboursé 88 millions de dollars à ce titre en 2006 et 155 millions de dollars en 2009[8].

Est-on certain que cette grande popularité des prestations de paternité représente, comme le prétendent certains, une volonté des Québécois de mieux assumer leurs responsabilités familiales? Se pourrait-il que ce soit plutôt le résultat de la générosité des prestations de paternité combinée à la possibilité d’obtenir ces prestations de paternité sans réduire le nombre de semaines de prestations parentales payables au couple? Voyons si tel est le cas.

Analysons à cette fin le comportement des parents lorsqu’ils sont tous deux prestataires du RQAP[9]. L’actuaire chargé de l’évaluation du coût du RQAP estime que, pour les deux tiers des naissances, les deux parents deviennent prestataires du régime. Le cinquième de ces parents partage les prestations parentales[10]. La mère se réserve toutes les prestations parentales dans 77% des cas et le père, dans 3% seulement[11]. Comme nous l’avons souligné plus haut, les prestations de paternité versées ont pratiquement doublé de 2006 à 2009. Lorsque les deux parents étaient prestataires du régime en 2006, le partage des prestations parentales respectait exactement les mêmes proportions qu’en 2009[12]. Même si les prestations de paternité ont doublé, on ne note aucun changement de comportement chez ces couples.

Selon les données qui apparaissent au Tableau 5, les Québécois étaient déjà, avant la mise sur pied du RQAP, plus enclins que les autres Canadiens à devenir bénéficiaires de prestations parentales: 9,5% des semaines de prestations ont été payées à des hommes au Québec en 2001 contre seulement 5,7% dans les autres provinces du Canada. On constate également année après année, tant au Québec que dans le reste du Canada, une lente progression dans la proportion des semaines de prestations parentales payées à des hommes.

Que s’est-il passé avec la mise sur pied du RQAP? La progression observée avant 2006 semble se poursuivre puisque 12% des semaines de prestations parentales auraient été versées à des Québécois en 2008. Si on avait conservé le régime fédéral, le nombre de Québécois qui touchent des prestations parentales aurait vraisemblablement continué d’augmenter pour passer de 10,9% en 2005 à environ 12% en 2009.

Selon l’analyse que nous venons de faire, on ne peut conclure que l’enthousiasme manifesté par les nouveaux pères pour réclamer des prestations de paternité révèle une acceptation plus grande de leurs responsabilités familiales. Lorsqu’ils touchent ces prestations, la mère de l’enfant est généralement présente auprès du nouveau-né[13], ce qui n’est pas le cas s’ils reçoivent des prestations parentales en lieu et place de la mère de l’enfant.

Recommandations

Le Québec a mis sur pied, dans les dix dernières années, deux programmes pour aider les familles qui désirent avoir des enfants tout en permettant aux deux parents de poursuivre leur carrière sur le marché du travail. Ces programmes entraînent des déboursés annuels de 3,5 milliards de dollars. Ils semblent toutefois avoir contribué à hausser, au-delà de la moyenne canadienne, à la fois le taux de natalité très bas du Québec et le taux d’emploi des Québécoises âgées de 25 à 54 ans. Cette hausse marquée du taux d’emploi a un impact économique substantiel sur l’économie québécoise puisqu’il contribue à réduire le manque de main-d’oeuvre.

Cela ne signifie pas pour autant que le RQAP atteint tous ses objectifs. Doit-on souscrire à l’enthousiasme du Conseil de gestion de l’assurance parentale qui déclarait en 2009 qu’«à l’instar des pères des pays scandinaves, les pères québécois démontrent un intérêt pour le partage des responsabilités familiales et des soins aux enfants. Le Régime s’associe aux efforts favorisant l’adoption de comportements égalitaires»[14]? Les déboursés substantiels encourus pour les prestations de paternité n’ont pas eu d’impact significatif sur la volonté des pères d’assumer une part plus grande des responsabilités qui incombent au couple à la suite de la naissance d’un enfant.

On pourrait mieux mesurer la volonté des pères d’assumer leurs responsabilités familiales si on ne leur permettait pas de toucher leurs prestations de paternité pendant que la mère est elle-même prestataire du RQAP. Dans une société qui laisse attendre, faute de personnel, ses malades à l’urgence, est-il souhaitable que l’État verse des prestations concurrentes à deux adultes pour assurer leur présence auprès d’un seul enfant?

À la suite de la hausse rapide des coûts et des déficits répétés, doit-on subventionner ce programme plutôt qu’augmenter à nouveau les cotisations? Le gouvernement finance déjà le programme de services de garde à même ses revenus généraux. Si on acceptait de verser des subventions au RQAP, jusqu’où ira-t-on? Augmenterons-nous les subventions chaque année puisqu’il faut ajuster continuellement le niveau des prestations en fonction des changements dans la rémunération touchée par les bénéficiaires du RQAP?

Il vaut mieux financer ce programme grâce à une cotisation spéciale comme on l’a fait depuis le début et comme on le fait pour les autres programmes d’assurance sociale.

On oblige les employeurs à verser des cotisations égales à 1,4 fois les cotisations de leurs employés. C’est la formule de l’assurance-emploi. Lorsqu’on finance des prestations de chômage, on peut justifier une cotisation plus élevée pour l’employeur puisqu’il a un certain contrôle sur les licenciements. On ne peut certainement pas en dire autant pour les prestations d’assurance parentale. Cela est d’autant plus vrai que le programme de services de garde a contribué à augmenter les coûts du RQAP. Il serait plus équitable que ce régime soit financé à parts égales par les employés et leurs employeurs.

Conclusion

Le Conseil de gestion de l’assurance parentale, qui avait estimé le coût initial du RQAP à 1080 millions, prévoyait le financer à 70% par le rabais de cotisation à l’assurance-emploi découlant du retrait du Québec du programme fédéral. On est loin du compte en 2009 puisque la valeur du rabais fédéral ne représente plus que 53% du coût total.

Les concepteurs du RQAP n’avaient pas tenu compte des changements de comportement qui pourraient en résulter. Nous avons démontré que la hausse des naissances que l’on observe depuis 2005 au Québec résulte vraisemblablement pour la moitié de ce nouveau programme. De plus, son existence, combinée à un programme de services de garde de plus en plus développé, a entraîné une hausse substantielle du taux d’emploi des Québécoises en âge d’avoir des enfants.

Le versement annuel de 160 millions de dollars en prestations de paternité ne semble pas avoir modifié de façon importante le comportement des pères. Il y a certes eu une hausse légère, depuis 2005, de la proportion des prestations parentales qu’ils reçoivent; on observe toutefois des tendances semblables dans le reste du Canada même si les autres Canadiens n’ont pas droit aux prestations de paternité. Peut-être obtiendrions-nous des résultats mieux adaptés aux objectifs du RQAP en exigeant que le père qui désire se prévaloir des prestations de paternité soit le seul qui soit absent du marché du travail à ce moment-là.

On doit également financer adéquatement le RQAP afin d’en assurer la pérennité. À titre de programme d’assurance sociale qui indemnise les couples qui choisissent d’avoir des enfants, pourquoi ne serait-il pas financé à parts égales par les employeurs et leurs employés?

Claude A. Garcia est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.

Notes

[1] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport annuel de gestion 2009, p. 69.
[2] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport annuel de gestion 2005, p. 17. Nous avons ajouté 20 millions de dollars pour les frais de gestion.
[3] Statistique Canada, Tableau CANSIM 053-0001.
[4] Ministère des Finances du Québec, Discours sur le budget du 30 mars 2010, p. 3.
[5] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport annuel de gestion 2008, p. 17.
[6] Nous avons effectué un calcul similaire pour les femmes de 15 à 54 ans et les résultats ne variaient pas de façon importante. Compte tenu du fait qu’une forte proportion de ces femmes sont aux études, nous avons préféré utiliser les données pour les femmes de 25 à 54 ans.
[7] La rémunération hebdomadaire moyenne des femmes a été de 643,08 $ au Québec en 2009 selon l’Institut de la statistique du Québec.
[8] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Statistiques officielles, décembre 2009, Tableau 6.
[9] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport actuariel du Régime québécois d’assurance parentale au 31 décembre 2009, p. 20.
[10] Id.
[11] Id.
[12] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Rapport actuariel du Régime québécois d’assurance parentale au 31 décembre 2006, p. 51.
[13] La mère est présente dans 80 à 90 % du temps, selon un cadre du Conseil de gestion de l’assurance parentale.
[14] Conseil de gestion de l’assurance parentale, Plan stratégique 2009-2012, p. 14.

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