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Textes d'opinion

Nomenklatura québécoise

Une entente a été récemment conclue entre Québec et le Front commun syndical. Elle prévoit essentiellement (1) des hausses salariales de 7% sur cinq ans dont 1% lié à l’inflation, et (2) une clause «croissance économique» qui octroie jusqu’à 3,5% de plus aux syndiqués si la croissance économique dépasse le taux de croissance nominale prévu par le ministère des Finances.

M. Charest a qualifié cette entente d’historique. Il a tout à fait raison. Jamais les Québécois n’ont-ils été l’objet d’une pareille tromperie! Jamais les contribuables n’ont-ils été ainsi trahis par leur gouvernement!

Que les syndicats réclament un ajustement pour l’inflation, cela se conçoit parfaitement. En revanche, la clause «croissance économique» est économiquement indéfendable, moralement inacceptable, et socialement injuste. Voici pourquoi.

Tout d’abord, par définition, le calcul de la croissance nominale inclut l’inflation. Ainsi, en accordant une clause inflation et une clause «croissance économique», notre premier ministre s’engage à compenser les fonctionnaires deux fois pour la même chose.

Ensuite, on nous dit que la clause «croissance économique» vise à faire bénéficier les employés de l’État de l’enrichissement collectif. Si tel est l’objectif, c’est la croissance réelle qui devrait servir de paramètre, et non la croissance nominale: en effet, comme le taux d’inflation exerce une influence sur la valeur de cette variable, celle-ci ne peut refléter ni la performance de l’économie ni la création de richesse. C’est la quantité de biens et services qu’une économie produit (le PIB réel) qui indique l’enrichissement, et non la valeur monétaire de cette production (le PIB nominal). On pourrait même imaginer une situation où le Québec n’enregistrerait aucune hausse de la production, et donc aucun enrichissement collectif, en dépit d’une croissance nominale de 5%. Il suffirait pour cela que le taux d’inflation soit de 5%.

Ainsi, M. Charest prétend vouloir lier la rémunération des fonctionnaires à la performance de l’économie alors qu’il retient une variable qui donne un avantage aux syndiqués, même en l’absence totale d’enrichissement collectif. Il affirme aussi vouloir éviter de dépenser de l’argent dont l’État ne dispose pas. Or, c’est justement ce à quoi il s’expose.

Il déclare régulièrement vouloir réduire la taille de l’État. Toutefois, il propose une clause qui rend la chose mathématiquement impossible.

Finalement, outre les absurdités techniques énoncées ci-dessus, les implications sociales et morales de la clause «croissance économique» sont scandaleuses. Rappelons que, lors du dernier budget, l’État est venu chercher 4,3 milliards dans nos poches pour rétablir l’équilibre budgétaire. Maintenant, il octroie à ses employés des hausses salariales dès que la croissance nominale dépasse les prévisions. En termes clairs, ceci signifie que les 475,000 employés de l’État seront les premiers servis si l’économie performe bien. Pourtant, au total, 3,8 millions de travailleurs contribuent à la prospérité de la province. Ne serait-il donc pas juste et équitable que tous bénéficient des bons résultats économiques via, par exemple, des réductions d’impôts ou le remboursement de la dette? Est-il acceptable que 12,5% des travailleurs de la province bénéficient en priorité des efforts et de la productivité de tous leurs confrères? Est-il acceptable que les intérêts des fonctionnaires passent avant ceux des générations futures? Vive la solidarité!

Avec cette entente, le premier ministre crée une classe de privilégiés qui a préséance sur le reste des travailleurs. En achetant la paix syndicale, il crée une nomenklatura québécoise. En visant la stabilité, il incite à la révolte. Ce n’est pas de cette façon que se construit une société forte!

Nathalie Elgrably-Lévy est économiste senior à l’Institut économique de Montréal.

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

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