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Textes d'opinion

Projet Eau du Nord – Comment exploiter l’or bleu québécois

L’eau deviendra une des ressources clés du XXIe siècle. Nous avons la chance de disposer de réserves en eau douce parmi les plus imposantes sur la planète. Ailleurs dans le monde, et particulièrement chez nos voisins du Sud, on serait prêts à payer des sommes considérables pour avoir accès à une petite partie de cette eau.

Malheureusement, la plupart des interventions gouvernementales actuelles se concentrent sur une restriction de l’usage de l’eau et empêchent une utilisation plus rationnelle plutôt que d’essayer de trouver des façons d’en faire le plus possible avec cette ressource naturelle.

Jusqu’à maintenant, les propositions visant l’exportation en grande quantité de l’eau du Nord québécois n’ont jamais été très sérieuses. On se rappelle de l’idée du fameux Grand canal, lancée au cours des années 1960. Digne de la construction des pyramides, ce projet visait à construire un immense barrage fermant la baie James ainsi qu’un long canal pour en détourner l’eau douce accumulée vers les Grands Lacs. Le pompage de cette eau aurait nécessité à lui seul la construction de plusieurs centrales nucléaires. Le coût total du projet était évalué à 175 milliards en dollars d’aujourd’hui, soit trois fois le budget annuel du gouvernement québécois!

Pour discuter rationnellement de l’enjeu, nous proposons plutôt un projet réaliste sur le plan technique, durable quant à l’exploitation de la ressource, qui n’implique pas de bouleversements majeurs de l’écosystème et rentable sur le plan financier.

Projet ambitieux et modeste

On a souvent l’impression que l’exportation d’eau implique le détournement et l’assèchement d’une rivière. Rien n’est plus faux. L’option que nous proposons, à laquelle nous avons donné le nom de complexe Eau du Nord, se limite à utiliser les surplus d’eau engendrés par les crues saisonnières.

Dans le bassin de la baie James, juste au nord de l’Abitibi, trois rivières n’ont fait l’objet d’aucun aménagement hydroélectrique: les rivières Broadback, Waswanipi et Bell. Nous suggérons de capter les eaux des crues de ces rivières et de les accumuler dans des bassins avant qu’elles ne s’écoulent vers les basses terres du nord et qu’elles ne se perdent dans l’eau salée de la baie d’Hudson.

Ces eaux seraient ensuite dérivées par le lit naturel des rivières grâce à un ensemble de centrales de pompage sur la rivière Bell, le point le plus élevé à franchir avant de laisser l’eau s’écouler dans la vallée de la rivière des Outaouais. À partir de ce point, ce débit additionnel s’écoulerait dans la rivière des Outaouais jusqu’au fleuve Saint-Laurent à la hauteur de Montréal.

Il serait alors exploité par l’ajout de centrales aux barrages déjà existants sur la rivière des Outaouais ou par l’utilisation plus intensive des centrales qui ne fonctionnent pas à pleine capacité. Il s’agirait d’ouvrages de génie civil d’une envergure très modeste par rapport aux réalisations québécoises passées, sans submersion des terres. La quantité d’énergie nette produite pourrait contribuer en grande partie à la rentabilité du projet — avant même de négocier toute vente d’eau douce.

Avantages

L’avantage principal du projet Eau du Nord est que le Québec pourrait exporter une grande quantité d’eau… sans qu’une goutte d’eau québécoise ait besoin de sortir de la province! En effet, les traités actuels entre le Canada et les États-Unis, ainsi que les États et provinces limitrophes régularisent le niveau et prévoient l’écoulement d’un certain débit d’eau dans le Saint-Laurent.

L’apport d’eau par une source de rechange dans le Saint-Laurent réduirait d’autant la nécessité de laisser cette eau s’écouler des Grands Lacs. La hausse du niveau de ceux-ci permettrait d’exporter de l’eau en Ontario et aux États-Unis. On peut estimer que le projet répondrait aux besoins de 150 millions de personnes, en partie pour leurs besoins de consommation en eau potable.

Respect de l’environnement

L’impact environnemental du projet Eau du Nord serait limité. Tel que mentionné, il s’agit uniquement de capter les eaux des crues saisonnières et non de bouleverser les écosystèmes en détournant complètement et en asséchant des rivières. L’eau dérivée correspond à 6,3 % des apports totaux qui alimentent la baie James, et tout au plus à 2 % des eaux douces du Québec. Il n’y a donc pas lieu de craindre une avancée importante des eaux salées de la baie d’Hudson vers le sud.

L’impact environnemental sur la rivière des Outaouais serait quant à lui minimal, son débit étant maintenu stable et étant bien moindre que les débits de crues naturels. Il faut enfin rappeler un fait crucial déjà bien connu: l’hydroélectricité est une forme d’énergie renouvelable, non polluante et non productrice de gaz à effet de serre.

Des avantages financiers incontestables

La rentabilité du projet Eau du Nord ne fait pas de doute puisqu’elle serait assurée par la seule production hydroélectrique. En tenant compte de l’inflation et des coûts de financement, ce coût total est évalué à quelque 15 milliards en dollars courants à la fin de l’année 2022, lorsque les travaux seront achevés. On est donc à des années-lumière des 175 milliards du projet Grand canal.

Le revenu tiré de l’exportation de l’eau résulterait quant à lui de négociations complexes entre les gouvernements concernés. On peut au mieux formuler des hypothèses sur la valeur de l’eau. Selon la méthode consistant à comparer au coût du dessalement d’une quantité équivalente d’eau de mer, on obtiendrait le montant vertigineux de plus de 20 milliards de dollars.

Le projet Eau du Nord propose d’exploiter l’or bleu québécois d’une façon réaliste et respectueuse de l’environnement. Compte tenu de ses avantages considérables, de son impact environnemental limité, et des investissements raisonnables qui seront nécessaires pour le réaliser, on devrait le considérer avec objectivité et ouverture d’esprit.

F. Pierre Gingras est chercheur associé à l’Institut économique de Montréal.

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