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Textes d'opinion

Le sirop de la colère

Qu’on ait lu l’oeuvre grandiose de John Steinbeck, Les raisins de la colère, ou qu’on ait vu son adaptation cinématographique, nous avons tous été émus par l’histoire de cette famille de paysans qui voit son rêve californien transformé en une prison à ciel ouvert.

L’histoire relate certes une autre époque et d’autres moeurs, mais il existe encore au Québec des paysans traqués, exploités et vivant sous le joug d’une organisation tyrannique qui s’évertue à limiter leur liberté entrepreneuriale tout en tentant de les convaincre qu’elle agit dans leur intérêt.

Ces paysans sont les producteurs de sirop d’érable, et cette organisation est la Fédération des producteurs acéricoles du Québec (FPAQ).

Alors que la saison des sucres fait le bonheur des Québécois, on ignore souvent les dessous de cette industrie que la FPAQ a complètement soviétisée en lui imposant un plan conjoint et des contingents. Ainsi, la FPAQ dicte aux producteurs la quantité maximale de sirop d’érable qu’ils sont en droit de produire. Elle oblige également tous les acériculteurs qui produisent en vrac ou en barils à lui vendre la totalité de leur précieux nectar au prix qu’elle voudra bien leur offrir. Et, évidemment, tous les acériculteurs doivent contribuer au financement de la FPAQ, qu’ils approuvent ou non l’organisme.

Il n’y a pas si longtemps, les acériculteurs étaient des entrepreneurs libres. Aujourd’hui, la FPAQ veut faire d’eux des pions dans un régime collectiviste digne de celui de l‘URSS des années 1930. En fait, le système est simple: les producteurs suent au travail, et les «bonzes» de la FPAQ commandent. C’est le principe du «tu travailles, je décide». Et gare à celui qui désobéirait en produisant trop, en tentant de vendre lui-même sa production sans passer par la Fédération, ou en faisant preuve d’initiative ou d’esprit d’entreprise! Un tel outrage à la FPAQ le rend passible de poursuites et d’amendes si importantes qu’il pourrait être acculé à la faillite.

Il ne s’agit nullement de remettre en question l’existence de la FPAQ, car il est tout à fait légitime que des producteurs souhaitent se regrouper. Il est même indispensable qu’ils puissent le faire en toute liberté. Après tout, les chartes de droits et libertés protègent explicitement le droit d’association. Toutefois, ne faudrait-il pas également tenir compte de son corollaire, à savoir le droit de non-association, afin de respecter la liberté de chacun de se tenir à l’écart d’individus ou d’organisations dont on désapprouve les agissements?

Or, les acériculteurs ne peuvent se soustraire ni à la FPAQ ni à ses décrets. De quel droit prend-elle donc les décisions qui devraient revenir à l’entrepreneur agricole, et à lui seul? Les jugerait-elle inaptes à discerner ce qui est bon pour eux de ce qui ne l’est pas? Insinuerait-elle que les acériculteurs manquent de jugement? Et si le système dirigé par la FPAQ est réellement à l’avantage des acériculteurs, pourquoi faut-il que l’adhésion soit obligatoire et sans appel?

Le sirop d’érable québécois représente 80% de la production mondiale et génère environ 200 millions $ de ventes. Or, les contraintes imposées par la FPAQ démotivent les acériculteurs et risquent d’inciter certains à quitter l’industrie. Il est donc important de redonner aux acériculteurs la liberté d’exploiter leur érablière comme ils le jugent approprié. Sans quoi, nous ne récolterons que… le sirop de la colère!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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