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Textes d'opinion

Que de jérémiades

Un vent de panique souffle sur le Québec depuis l’envolée spectaculaire du huard. Il a même atteint nos élites politiques et Jean Charest juge la situation suffisamment grave pour réclamer que Stephen Harper convoque une conférence des premiers ministres sur la question.

Que l’appréciation de notre devise nuise aux exportations manufacturières est un fait incontestable. Mais ne présenter que cet aspect de la réalité est réducteur et malhonnête, car une monnaie forte présente des avantages tangibles qu’on ne doit pas passer sous silence.

Tout le monde comprend que l’appréciation de la devise avantage les consommateurs, après une certaine période d’ajustement des prix. Mais, contrairement au message largement véhiculé, les entreprises canadiennes bénéficient également d’un dollar fort. D’une part, elles peuvent réduire leurs coûts de production, car elles importent une quantité importante de matières premières. D’autre part, comme elles ont pour habitude d’importer leur équipement et leur machinerie, elles peuvent maintenant acquérir ces biens à prix d’aubaine. Un dollar à parité, c’est comme une vente de «Boxing Day» et les entreprises devraient en profiter pour renouveler leur capital physique et améliorer leur productivité. C’est même indispensable dans un contexte de mondialisation des marchés.

Mais ce n’est pas tout. La vigueur du dollar signifie que les Canadiens peuvent acheter des entreprises étrangères à une fraction de ce qu’ils auraient payé il y a cinq ans lorsque le dollar valait 61¢ US. Certains se lamentaient lorsque des entreprises locales passaient aux mains d’intérêts étrangers. Aujourd’hui, les Canadiens ont les moyens d’effectuer des prises de contrôle auxquelles ils n’auraient pas osé rêver il y a quelques années. Mais pour cela, encore faut-il qu’on cesse de se voir comme les victimes d’une monnaie forte et qu’on passe à l’offensive.

L’appréciation du dollar canadien permet aussi à nos entreprises non seulement de retenir notre main-d’œuvre qualifiée, mais aussi d’attirer les travailleurs étrangers les plus talentueux, car ils sont maintenant rémunérés avec une devise forte. Si la faiblesse du dollar contribuait autrefois à l’exode des cerveaux, sa vigueur actuelle ne devrait-elle pas inverser la tendance?

Finalement, une monnaie qui s’apprécie signifie qu’il devient plus facile de rembourser nos dettes libellées en dollars américains, un peu comme si nos créanciers en effaçaient une partie.

En somme, un dollar fort permettra de tous nous enrichir. Cessons donc les jérémiades et saisissons les occasions qui se présentent à nous. Cessons également notre fixation sur le secteur manufacturier, car la valeur de la monnaie n’est pas la seule responsable des difficultés qu’il rencontre.

Ce secteur a longtemps été protégé par des tarifs douaniers et des quotas d’importation. Mais cette protection a été contre-productive, car au lieu de développer des créneaux à valeur ajoutée, d’innover et de miser sur la hausse de leur productivité, les entreprises manufacturières se sont reposées sur leurs lauriers. Aujourd’hui, elles en paient le prix. C’est malheureux pour les travailleurs qui sont mis à pied, et il faudrait envisager des moyens pour les aider à réintégrer le marché du travail. Mais les difficultés du secteur manufacturier ne devraient en aucun cas conduire à des mesures pour contrer la hausse de notre devise. De grâce, M. Charest, ne vous mêlez pas du taux de change. Ce dossier permet certainement de faire du kilométrage politique, mais il ne faut tout de même pas pénaliser tout un pays uniquement pour plaire à un secteur autrefois choyé!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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