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Textes d'opinion

Délire kafkaïen

La Commission Johnson a rendu public son rapport jeudi dernier. Il nous en a coûté six millions pour apprendre que nos ponts et viaducs ont sérieusement besoin d’être remis en état, que le ministère des Transports a failli à sa mission, à savoir d’«assurer, sur tout le territoire, la mobilité des personnes et des marchandises par des systèmes de transport efficaces et sécuritaires». Voilà de l’argent bien dépensé!

Certes, le rapport présente des détails techniques sur les vices de conception et sur la piètre qualité du béton qui peuvent intéresser les ingénieurs. Toutefois, il omet de répondre à la seule question qui importe aux Québécois: pourquoi l’État a-t-il délaissé ses infrastructures pendant 30 ans? Pourquoi donc cette négligence meurtrière?

La commission accuse en partie la «culture» organisationnelle du ministère des Transports, ainsi que ses habitudes de travail. Il va de soi qu’une organisation dans laquelle la loyauté au syndicat l’emporte sur la sécurité du public doit faire l’objet de changements draconiens. Une culture de négligence et d’insouciance doit être combattue, où qu’on l’observe.

Mais il y a plus. D’abord le fait que nous payons aujourd’hui le prix de 40 ans de compromis politiques! Les politiciens ont accommodé leurs électeurs en acquiesçant à nombre de leurs demandes, même à celles qui étaient déraisonnables. Pour gagner des votes, ils ont créé des programmes populistes et, surtout, bien visibles. Ainsi, au fil du temps, les gouvernements ont négligé l’entretien des infrastructures, car promettre la réfection d’un pont ou de nouveaux égouts n’est pas aussi politiquement rentable que l’équité salariale, la création de garderies à 5$, l’assurance médicaments ou les congés parentaux.

Nos infrastructures tombent en ruine parce que l’État alloue ses fonds en priorité aux dossiers qui bénéficient de la faveur populaire. Maintenant que ni le délabrement des routes ni l’exaspération des Québécois ne peuvent être ignorés, on nous annonce l’injection de milliards de dollars pour ramener notre belle province dans l’ère de la modernité.

Mais qu’arrivera-t-il ensuite? Qu’adviendra-t-il de nos routes lorsqu’elles auront été remises à neuf et qu’elles ne feront plus la manchette des journaux? Feront-elles de nouveau l’objet de compromis politiques qui se solderont par l’écroulement d’un autre viaduc? Réparer nos infrastructures, c’est bien. Éliminer les conditions responsables de leur dégradation, c’est mieux!

En réponse au rapport Johnson, la ministre des Transports, Julie Boulet, a fièrement annoncé la création d’une agence qui se consacrera à la construction, à la gestion et à l’entretien des structures du réseau gérées par Québec.

Or, le ministère des Transports, qui a toujours été responsable des ouvrages routiers, a lamentablement échoué dans sa mission. Pourquoi une autre entité gouvernementale réussirait-elle mieux? La lourdeur bureaucratique, l’inefficacité, l’absence d’une obligation de rendre des comptes et l’insouciance ne sont pas propres au ministère des Transports. Ce sont des conséquences intrinsèques au fonctionnement de l’État, et la nouvelle agence ne pourra s’y soustraire.

Madame Boulet a déclaré vouloir faire mieux, faire plus et faire autrement. Or, elle ne fait rien différemment. Elle convient que l’État a failli et à sa tâche et propose de résoudre le problème avec… une autre agence gouvernementale! Les fonctionnaires nous ont trahis, mais elle envisage d’en embaucher davantage. On se croirait dans un cauchemar kafkaïen!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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