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Textes d'opinion

Sicko ou Wacko?

Le nouveau film de Michael Moore, Sicko, a provoqué une véritable frénésie médiatique. La plupart des commentateurs s’entendent pour dire que Moore emprunte sans scrupules des raccourcis malhonnêtes et manipule la réalité. Néanmoins, comme des perroquets savants, ces mêmes commentateurs répètent aveuglément les demi-vérités et les amalgames démagogiques que leur présente le pamphlétaire.

Le documentaire laisse sous entendre que les soins de santé sont dispensés exclusivement par le secteur privé. Or, si les hôpitaux privés sont majoritaires, les Etats-Unis disposent néanmoins d’un système public d’assurance maladie: il existe le Medicare (pour les personnes âgées), le Medicaid (pour les pauvres), des hôpitaux publics pour les non assurés et des programmes pour les anciens combattants et les fonctionnaires. Au total, le pays de l’Oncle Sam dépense aujourd’hui autant en santé (environ 9% du PIB) que le Canada, la Grande-Bretagne ou la France. Admettons que ce n’est pas si mal pour un pays «dominé» par le secteur privé!

Évidemment, Moore souligne que 45 millions d’Américains, soit 15% de la population, n’ont pas d’assurance. Bien des gens se plaisent à invoquer cette statistique comme symbole ultime de l’échec américain. De toute évidence, ils ignorent que:

  • 1) parmi ces gens, plus du quart sont sans assurance pour une période inférieure à un an;
  • 2) 15 millions de personnes sont éligibles au Medicaid ou au Medicare, mais n’en font pas la demande;
  • 3) quelque 17% des non assurés ont un revenu familial de 75 000 $US ou plus;
  • 4) une grande proportion des non-assurés sont des jeunes qui ont les moyens de se payer une assurance privée, mais qui choisissent de s’en passer. Les non-assurés sont donc clairement surestimés, mais il ne faut pas compter sur un cinéaste à sensation pour nous dire la vérité!

Marché réglementé

Sicko attribue les ratés du système de santé aux compagnies d’assurance sans foi ni loi qui font régner un «capitalisme sauvage». Or, le marché américain de la santé est très réglementé. Les États, tout comme le gouvernement fédéral, ont établi une multitude de normes dans le domaine de l’assurance, ce qui limite la concurrence par les prix. Des réglementations précisent notamment les procédures médicales qu’une police doit couvrir, ainsi que la gestion et le financement des établissements de santé. Le marché des assurances médicales n’est donc pas libre, et il faut peut-être se demander si ce ne sont pas toutes les contraintes qu’on impose aux compagnies qui les incitent à adopter des comportements aussi aberrants que répréhensibles.

Le cinéaste manipulateur redouble d’efforts pour présenter les cauchemars que certaines compagnies d’assurance imposent à leurs clients. Mais il oublie délibérément de relater les histoires d’horreur que les systèmes publics comme le nôtre imposent aux patients. Approuverait-il que des malades meurent sur des listes d’attente ou dans le stationnement d’un hôpital?

Que les compagnies d’assurance américaines se rendent coupables de gestes condamnables doit faire réfléchir aux moyens qui les inciteraient à améliorer leurs comportements. Mais ce n’est certainement pas un motif pour faire la promotion de systèmes publics meurtriers. Le système de santé américain exige d’être rénové, certes, mais en quoi un pamphlet mensonger peut-il alimenter un débat sain et constructif?

S’il souhaitait sincèrement améliorer le système de santé américain, Moore s’efforcerait de dresser un bilan fidèle de la réalité. Mais l’honnêteté intellectuelle importe peu à celui qui encaisse des millions en faisant la promotion de la gratuité!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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