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Textes d'opinion

Une fixation déraisonnable

Je croyais que la question des accommodements n’était qu’une obsession passagère destinée à meubler le temps d’antenne d’animateurs en manque de nouvelles à sensation, mais j’avais tort.

Devant l’ampleur du débat, une commission d’enquête a été ouverte pour étudier les accommodements, comme si le phénomène était nouveau et totalement inconnu.

Pourtant, nous effectuons quotidiennement, et sans même le réaliser, des dizaines d’«accommodements raisonnables» avec notre entourage afin de rendre la vie en société plus harmonieuse: on baisse le volume de la musique pour ne pas déranger les voisins, on ferme la fenêtre à cause du collègue frileux, etc.

Ainsi, personne ne blâmera deux voisins qui s’entendent pour s’abstenir de tondre la pelouse le samedi afin de jouir de leur jardin en toute sérénité. Toutefois, si l’entente a été conclue pour des raisons religieuses, l’affaire sera dénoncée sur toutes les tribunes. Pourtant, dans les deux cas, le geste est le même, seul le motif change. Ce n’est donc pas tant l’accommodement qui choque, mais bien le fait que la religion en soit à l’origine. Ainsi, depuis des mois, le débat porte sur les motifs et non sur les actes commis. Or, une société moderne ne devrait-elle pas accorder davantage d’importance au geste qu’à la raison qui l’inspire?

Le débat actuel affiche également une lacune majeure: il ne distingue pas les ententes conclues entre des parties privées des accommodements demandés à des entités gouvernementales.

Dans le premier cas, n’oublions pas que les parties privées jouissent de liberté contractuelle. Ainsi, quand les hassidim d’Outremont paient pour que le YMCA givre ses vitres, il s’agit d’un marché conclu, de manière libre et volontaire, entre deux agents privés et dans le respect de nos lois.

Que les motifs de l’entente nous plaisent ou non, que ce soit pour des raisons religieuses ou pour satisfaire une extravagance quelconque, nous n’avons pas voix au chapitre puisqu’aucun acte illégal n’a été commis. Il est même dangereux de permettre à des bien-pensants, convaincus de leur supériorité morale, de remettre en question la liberté contractuelle des parties concernées. Et puis, est-il si difficile de comprendre que si A accorde librement un accommodement à B, c’est qu’il s’agit, par définition, d’un accommodement que A juge raisonnable?

«Service de base »

Quant aux accommodements demandés à des instances gouvernementales, on pourrait clore le débat en appliquant un principe similaire à celui employé, entre autres, par Vidéotron. Il y aurait le «service de base», et il y aurait les extras pour lesquels il faudrait débourser davantage.

Comme nous voulons une société laïque, l’argent des contribuables devrait permettre aux propriétés de l’État d’offrir un service en accord avec cette laïcité. Le service laïc représenterait donc le «service de base». Ainsi, la personne qui se présente dans un hôpital ou à la SAAQ serait dirigée vers le premier travailleur disponible.

Quant à celle à qui le «service de base» ne conviendrait pas, elle pourrait obtenir un accommodement dans les limites de nos lois, et moyennant des frais supplémentaires proportionnels aux inconvénients qu’elle occasionne. Les minorités religieuses n’auraient donc rien à quémander, car elles paieraient pour les services qu’elles souhaitent obtenir. Introduire une tarification spéciale serait donc un «accommodement raisonnable» pour allier laïcité et convictions religieuses.

Certes, un État laïc ne doit pas imposer de religion commune. Mais doit-il nécessairement brimer la liberté de religion de chacun? Et pourquoi refuser aux minorités religieuses des accommodements si elles en assument les coûts, si leurs demandes ne causent aucun préjudice et si elles respectent nos lois? Parce que la religion est en cause? Il s’agirait alors d’une fixation déraisonnable!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure du livre La face cachée des politiques publiques.

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