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Textes d'opinion

Un projet dont on devrait se passer

Daniel Gauthier, promoteur du projet récréotouristique du Massif dans Charlevoix, a récemment déclaré qu’il abandonnera ce projet de 230 millions $ si Québec et Ottawa ne lui garantissent pas avant le 30 juin une contribution globale de 75 millions$.

Face à cette «menace», le PQ, l’ADQ et les élus régionaux ont apporté leur appui au projet de M. Gauthier et ont pressé les gouvernements d’agir. Ils étaient d’ailleurs nombreux à affirmer que Charlevoix ne peut pas se permettre de passer à côté d’un projet grandiose qui promet de dynamiser l’économie de la région.

Le projet est grandiose, certes, mais un «léger détail» dérange: il n’est pas évident qu’il devienne rentable! Si M. Gauthier sollicite l’aide des gouvernements, c’est précisément parce que les investisseurs privés et les banquiers ne sont pas disposés à y mettre les 75 millions nécessaires. Une réserve tout à fait compréhensible quand on sait que le projet ne pourra dégager son premier et modeste profit qu’à partir de la 5e année d’opération. Mais si des intérêts privés, qui ne demandent qu’à investir leur argent, ne sont pas disposés à cautionner le projet du Massif, pourquoi l’État devrait-il y mettre celui des contribuables? Les payeurs de taxes seraient-ils devenus les bailleurs de fonds des causes perdues?

Robin des Bois à l’envers!

En acceptant de subventionner Le Massif, non seulement nos gouvernements prennent-ils notre argent, mais ils décident aussi à notre place du genre de loisir qui mérite d’être encouragé et nous font supporter une partie de l’investissement d’un riche promoteur. C’est Robin des Bois à l’envers! Si M. Gauthier n’a pas les moyens de ses ambitions, il devrait alors avoir l’humilité de les réviser à la baisse, et non l’arrogance de réclamer une partie des impôts des contribuables pour l’aider à réaliser un projet dont la rentabilité est incertaine.

Et pour couronner le tout, le promoteur du projet et ses supporters insistent sur les bienfaits qu’une telle initiative aurait sur l’économie charlevoisienne. Il est vrai que la promesse de créer 600 emplois dans une région où le taux de chômage atteint 25% a de quoi séduire. Mais si le diagnostic est à ce point positif, ne devrions-nous pas alors subventionner des projets similaires dans toutes les régions du Québec?!

Il ne faut pas se laisser éblouir par les 600 emplois, car le fait d’octroyer à M. Gauthier 75 millions $ signifie nécessairement que cette somme ne sera alors plus disponible pour financer les soins de santé, l’éducation, la réfection des routes, etc. Il est donc évident que, dans ce cas, la participation de l’État ne permet pas la création d’emplois, elle ne fait que les déplacer d’un secteur à l’autre.

De plus, à supposer que tous ces emplois soient effectivement créés, chaque emploi aura alors coûté 125 000$ au contribuable. Et si nous faisions les choses autrement? L’État pourrait réduire les impôts des entreprises de 75 millions afin d’améliorer leur rentabilité. Elles seraient alors incitées à prendre de l’expansion, ce qui permettrait de préserver et de créer des emplois. Une réduction de l’impôt des particuliers aiderait également les entreprises, puisqu’elle permet d’accroître le pouvoir d’achat des consommateurs. Au lieu de cela, on veut nous convaincre qu’un méga parc non rentable est indispensable!

Messieurs les ministres, vous qui êtes sollicités par tous les M. Gauthier de ce monde, n’oubliez pas que vos électeurs s’attendent à ce que vous utilisiez de manière responsable les sommes qu’ils vous confient. N’investissez donc pas l’argent des contribuables dans des projets dans lesquels vous ne seriez pas disposés à mettre votre propre argent!

* Cette chronique a aussi été publiée dans Le Journal de Québec, la même journée.

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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