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Textes d'opinion

La grande frayeur

Des scientifiques affirment que les êtres humains sont en général réfractaires aux changements. À en juger par certaines réactions qui ont suivi la publication du Manifeste pour un Québec lucide, on a envie de leur donner raison.

Le diagnostic posé par le Groupe des douze est difficilement contestable. Cependant, les solutions qu’il propose ont été rapidement et fortement critiquées, notamment par les syndicats, par la Fédération étudiante universitaire du Québec et par de nombreux commentateurs et citoyens.

Ceux qui ont exprimé leur opposition ont invoqué la nécessité de ne pas toucher au «modèle québécois». Mais quel est donc ce modèle à protéger? Le taux de décrochage scolaire atteint 60% chez les garçons des quartiers défavorisés. Les analphabètes fonctionnels constituent 14% des jeunes de moins de 35 ans Le système de santé fait piètre figure. Le régime fiscal étouffe l’initiative et décourage le travail. La taille de la dette publique prend des dimensions inquiétantes. Le taux de chômage est le plus élevé au Canada, après les provinces maritimes. Nos routes sont délabrées. Faut-il poursuivre cette énumération? Ces problèmes sont bien réels, et adopter la stratégie de l’autruche ne fera qu’aggraver la situation.

Ça ne fonctionne pas

Il faut bien l’admettre: le «modèle québécois» ne fonctionne pas. Certes, Nous partageons tous le même objectif: faire du Québec une société riche et prospère. C’est sur les moyens d’y parvenir et sur les changements à entreprendre que nous sommes en désaccord.

Mais tout changement renferme une part d’inconnu et d’incertitude, ce qui explique que nous y soyons si souvent réfractaires. Le Manifeste propose de revoir le rôle de l’État providence et de se prendre en main. À mon avis, la phrase la plus lucide qu’il contient est celle-ci: «Chaque individu, chaque groupe, chaque leader doit abandonner le premier réflexe qui est celui de tous, en particulier dans le Québec d’aujourd’hui: protéger ses intérêts et faire appel à l’intervention du gouvernement.»

Il y a 20 ans, l’Irlande était le pays le plus pauvre de l’Europe du Nord avec un taux de chômage de 20%. Ce pays a enregistré un taux réel de croissance annuel moyen d’environ 7% depuis 1987 (contre 3% au Québec), ce qui signifie que le revenu des Irlandais double tous les 10 ans. Parmi les 30 pays membres de l’OCDE, l’Irlande est aujourd’hui le quatrième le plus riche et son taux de chômage est inférieur à 5%. N’est-ce pas impressionnant?

Pour réussir cet exploit, les Irlandais ont tout d’abord pris conscience du caractère désastreux des politiques en vigueur à l’époque. Ensuite, leur gouvernement a eu la volonté et le courage politique d’adopter des réformes fondamentales: allègements fiscaux, gestion responsable des finances publiques et modération des hausses salariales.

Réaliser le miracle québécois

Après le miracle celte, pourquoi ne pas réaliser le miracle québécois? Certaines des recommandations contenues dans ce manifeste sont discutables, mais la philosophie d’ensemble dans lequel il s’inscrit est de bon augure. Sa prise de position contre l’immobilisme rappelle un autre manifeste qui remonte à ce qu’on a appelé la «grande noirceur»: le Refus global. Sommes-nous tellement plus éclairés aujourd’hui? Plus que jamais, on craint les idées qui bousculent les intérêts des uns et le confort des autres. Nous sommes peut-être à l’ère de la grande frayeur.

Nous avons poussé à l’extrême les aspects les plus déresponsabilisants de l’État-providence et nous en vivons aujourd’hui les conséquences. Nous pouvons soit changer de cap et faire comme l’Irlande, soit continuer à entretenir une société sclérosée et des projets chimériques. À nous de décider!

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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