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Textes d'opinion

Le monopole de la SAQ: un paradoxe

Le débat sur la privatisation de la SAQ a repris la semaine dernière et, bizarrement, on a pu entendre des gens comme Bernard Landry et Yves Michaud invoquer les «vertus» des monopoles. Pourtant, habituellement, les politiciens s’entendent pour les condamner, dénoncer leur manque d’efficacité et leurs prix excessifs.

Le Canada dispose ainsi d’une Loi sur la concurrence et d’un Bureau de la concurrence. Des fonctionnaires s’y occupent à longueur d’année à surveiller les marchés afin d’empêcher l’apparition de monopoles et d’assurer la présence de nombreux fournisseurs. Et si tous ces efforts sont déployés, c’est parce que la concurrence permet aux consommateurs de bénéficier de bas prix, d’un vaste choix de produits et de services de qualité.

C’est dans cet esprit que le Bureau de la concurrence a contraint Cineplex à vendre 35 établissements, qu’il a empêché des fusions dans le secteur bancaire et qu’il enquête sur une éventuelle collusion entre les pétrolières. Faut-il comprendre qu’un monopole nuit toujours aux consommateurs sauf s’il s’agit d’un monopole d’État? C’est vraisemblablement ce que certains tentent de nous faire croire!

Souvenons-nous de l’époque où Bell Canada contrôlait tous les services téléphoniques au Québec. Convaincu que la concurrence était préférable, le gouvernement fédéral a procédé dans les années 1990 à la déréglementation de l’industrie des communications. Résultat? De nouveaux joueurs sont apparus et la compétition est si féroce qu’il est maintenant possible de téléphoner à l’autre bout du monde pour 30 cents la minute alors qu’il en coûtait 3$ la minute il y a 10 ans! Alors pourquoi la privatisation de la SAQ ne permettrait-elle pas aux Québécois de bénéficier de meilleurs prix et d’une sélection plus large?

N’est-il pas paradoxal que, d’une part, les gouvernements votent des lois anti-monopoles sévères parce qu’ils jugent malsain et pernicieux de réduire la concurrence et que, d’autre part, ils défendent avec acharnement leur mainmise sur le commerce d’alcool? Si nos élus refusent de concéder à Ford le marché de l’automobile, à Sanyo celui des téléviseurs et à Maytag celui des cuisinières, sur quelles bases peuvent-ils bien défendre le maintien de la SAQ?

Pas comme les autres

Certains diront que l’existence de cette société d’État est justifiée, car l’alcool n’est pas un bien comme les autres dans la mesure où une consommation excessive est dangereuse. Mais en quoi l’implication de l’État prévient-elle la consommation irresponsable? Les ivrognes tout comme ceux qui trouvent que «la modération a bien meilleur goût» peuvent se procurer autant de bouteilles d’alcool qu’ils le désirent! D’ailleurs, pourquoi le commerce de la bière ne passe-t-il pas par la SAQ? Les vertus du monopole seraient-elles donc proportionnelles au degré d’alcool?

S’il suffisait de confier à l’État la vente d’un produit pour éviter les abus, il ne nous resterait plus qu’à nationaliser les supermarchés, les fabricants de friandises et les cigarettiers pour contrer la vague d’obésité, la carie dentaire et le cancer des poumons!

Quant au fait que la vente d’alcool constitue une importante source de revenus, rappelons que ce sont les taxes qui génèrent ces recettes et que rien n’empêcherait l’État de taxer l’alcool dans un système privé, comme il sait si bien le faire dans le cas de l’essence et de la cigarette.

Selon Bernard Landry, le monopole de la SAQ repose sur une caractéristique essentielle de la société québécoise: la solidarité. La solidarité lorsqu’il s’agit … d’alcool? Alors pourquoi pas un monopole d’État au nom de la solidarité pour l’alimentation, les vêtements, la pâte dentifrice et d’autres biens essentiels? Certains ont vraiment une étrange conception des priorités!

Nathalie Elgrably est économiste à l’Institut économique de Montréal.

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