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Textes d'opinion

Il est temps de démystifier le système de santé américain

En ouvrant la porte aux assurances santé privées, la décision récente de la Cour suprême a relancé un débat où le système américain sert souvent d’épouvantail. Il est vrai que le système de santé des États-Unis souffre de plusieurs problèmes et est loin d’être parfait. Mais les causes de ces problèmes ne sont pas celles qu’on pense et une perspective plus réaliste sur le système de nos voisins du sud conduirait à des débats plus pertinents que la répétition de mythes sans fondement.

Un grand nombre de non-assurés?

Premier mythe non fondé: celui du grand nombre de non assurés qui n’auraient accès à aucun soin. Il est vrai qu’un grand nombre d’Américains, soit 45 millions, ne sont pas assurés pour leurs soins de santé mais il faut mettre cette situation en perspective. Ce nombre ne représente qu’une minorité (15,6%) par rapport à la population totale de 288 millions d’habitants. Le fait de ne pas avoir d’assurance santé est bien souvent une situation temporaire causée par des changements d’emploi ou de situation familiale. Une portion non négligeable des non-assurés auraient par ailleurs les moyens financiers de se payer une assurance mais choisissent volontairement de ne pas le faire.

Un système entièrement privé?De plus, et contrairement à une idée répandue, même les non-assurés ont accès à des soins de santé gratuits offerts par les hôpitaux publics, les centres de santé communautaires, les hôpitaux universitaires, etc., où les conditions sont similaires à celles des établissements de santé au Canada. Il y a donc un filet de sécurité pour les Américains qui ne sont pas officiellement assurés.

Deuxième mythe sans fondement: celui d’un marché entièrement privé où règnerait le «capitalisme sauvage». Même si la plupart des établissements de santé américains sont privés, il existe aux États-Unis d’importants régimes publics d’assurance maladie: Medicare pour les 65 ans et plus et Medicaid pour les faibles revenus.

Les dépenses publiques de santé par habitant sont dans les faits plus élevées aux États-Unis (2364$US) qu’au Canada (2048$US). Parmi les 30 pays de l’OCDE, les États-Unis sont au neuvième rang (6,6%), juste derrière le Canada (6,7%), pour ce qui est du ratio de dépenses publiques de santé sur le PIB.

Effets pervers de la réglementation

Contrairement aux idées reçues, le marché américain des soins de santé est lourdement réglementé. Cette réglementation est en partie responsable des difficultés qu’éprouvent de nombreux Américains à se payer des assurances privées puisqu’elle a pour effet de limiter la mise en marché de polices d’assurances moins chères et plus accessibles.

Le fait que les assurances comprennent peu de co-paiements (frais fixe par services reçus) ou de co-assurance (pourcentage du coût des services à la charge de l’assuré) explique aussi l’escalade des coûts de santé aux États-Unis. Les assurés ont peu d’incitatif à rechercher le traitement optimal à meilleur prix, ce qui fait gonfler les primes d’assurance et les rend inaccessibles aux moins bien nantis.

La politique fiscale à l’égard des polices d’assurance fait aussi grimper les coûts. En effet, l’assurance achetée par l’employeur est exempte d’impôt pour l’employé ce qui mène à une surconsommation d’assurance de la part de ceux qui en bénéficient.

Les amendes élevées imposées par les tribunaux dans les poursuites de responsabilité professionnelle sont un autre phénomène propre aux États-Unis qui contribue à hausser le prix des soins de santé dans ce pays.

Bref, les problèmes dont souffre le système de santé américain sont bien plus liés aux effets pervers de la réglementation qu’au «capitalisme sauvage» qui règnerait dans le marché américain des soins de santé. Les groupes qui brandissent le spectre du système américain pour s’opposer à l’apport du secteur privé au système de santé québécois, devraient donc mettre cet épouvantail au rancart.

Il serait également souhaitable que le gouvernement du Québec, qui aura la tâche d’appliquer le récent jugement de la Cour suprême, évite les pièges dans lesquels sont tombées les autorités américaines dans la réglementation des assurances santé privées.

Norma Kozhaya est économiste à l’Institut économique de Montréal et auteure de la Note économique intitulée Deux mythes sur le système de santé américain.

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