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Textes d'opinion

La sécurité d’emploi gruge le budget de la santé

Dans le grand débat public sur le financement du réseau de la santé, on a omis d’étudier les coûts reliés à la sécurité d’emploi et à la définition des tâches des employés des établissements. Lors de l’abolition d’un poste, les cadres du réseau disposent d’une période de trois ans pour se trouver un autre emploi. Pour les employés syndiqués, la sécurité d’emploi est totale: si leur poste est aboli et qu’on ne leur trouve pas de poste équivalent dans un rayon de 50 kilomètres, ils peuvent être payés à temps plein tout en ne travaillant pas et ce, jusqu’à leur mort, car la retraite ne peut pas leur être imposée. Ils doivent toutefois accepter de faire du remplacement. C

ombien peut coûter cette sécurité d’emploi? On ne le sait pas vraiment car les chiffres dont on dispose ne comptent que les salaires versés pour les employés dont les postes ont été abolis, peu importe si ces employés remplacent ou non des collègues. Mais les chiffres demeurent surprenants: 267 M$ au sommet du virage ambulatoire en 1997-1998, 96 M$ en 1998-1999 et 79 M$ en 1999-2000 (Ministère de la Santé et des Services Sociaux, Livre des crédits 2000-01, tome 1, p. 495).

Il y a cependant d’autres contraintes au déplacement de personnel. Supposons qu’un directeur d’établissement constate la nécessité d’embaucher une infirmière supplémentaire dans une unité de soins de longue durée car la clientèle s’est alourdie sérieusement dans les derniers mois. Il doit ouvrir un poste et l’afficher dans ce service. S’il veut utiliser une infirmière d’un autre secteur de l’établissement, il doit abolir un poste d’infirmière dans cette unité d’accréditation et cette infirmière, en vertu des conventions collectives, sera payée tant qu’elle n’est pas replacée dans un autre poste. Toutefois, pour le nouveau poste affiché, l’embauche est donnée en priorité à l’ancienneté à l’intérieur de cette accréditation.

Cette situation illustre les contraintes et les délais auxquels doivent faire face tous les directeurs d’établissements dans le réseau de la santé au Québec pour résoudre un problème jugé temporaire. Par exemple, un employé ne fera pas un travail qui s’inscrit à l’extérieur de sa définition de tâche ou ne pourra être transféré vers une autre accréditation. Ces contraintes sont valables non seulement d’un établissement à l’autre mais à l’intérieur même de chaque établissement. De plus, un employé peut refuser de se recycler dans un domaine périphérique à sa spécialité comme ce fut le cas lorsqu’un spécialiste en audiovisuel a refusé de suivre des cours d’informatique et qu’une infirmière unilingue a refusé de suivre des cours dans l’autre langue.

Ces rigidités sont exclues du calcul des écarts des coûts de main-d’oeuvre entre le secteur privé et public et malgré cette omission, les employés municipaux, par exemple, coûtent 30% de plus que dans le secteur privé pour un travail équivalent.

Cette protection mur à mur dans les conventions collectives s’avère peu coûteuse lorsque le marché du travail et l’appareil de production sont relativement stables, c’est-à-dire lorsqu’un employé fait à peu de choses près le même travail, dans le même endroit, pour le même ministère, pendant toute sa carrière. Mais, comme chacun sait, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

L’exemple des États-Unis

Apparaissant comme un pays en déclin constant vis-à-vis de ses concurrents, les États-Unis ont pris un virage économique radical dans une période de temps relativement courte à l’échelle de l’histoire contemporaine, passant d’une économie post-industrielle à une économie fondée sur le savoir.

Ce changement profond s’est produit en recyclant et réorientant la main-d’œuvre des activités économiques déclinantes vers les activités productives. L’ajustement aura été douloureux mais incroyablement profitable car les preuves sont là, incontournables: depuis plusieurs années maintenant, les États-Unis établissent des records en termes de faibles taux de chômage et d’inflation, de forte productivité, de vigueur de la devise tout en connaissant la plus longue période de prospérité de leur histoire.

Le contraste dans le réseau de la santé est frappant. La complexité des relations de travail dans ce secteur est facilement démontrable au-delà des exemples précédents. Il suffit de répondre à la question suivante: dans combien de pages tiennent les conventions collectives dans le réseau de la santé? Prenez quelques secondes pour réfléchir: 100 pages? 300? 700? 2000? Il y a en fait une centaine de conventions collectives dans le réseau de la santé et des services sociaux (excluant les cadres et les médecins) et chaque convention collective est contenue dans un document d’environ 300 pages pour un total hallucinant de 30 000 pages.

Imaginez tous ces gens d’une grande compétence, fonctionnaires, syndicalistes, avocats, spécialistes en ressources humaines, etc., tous des négociateurs aguerris, avec des ressources considérables, en train de gratouiller cette montagne de documents pour changer une virgule ici, pour ajouter un sous-alinéa dans le deuxième paragraphe de l’article X de la section Y, discutant pendant des mois avec comme résultat probable quelques centaines de pages supplémentaires et une protection encore plus hermétique des emplois contre tout changement.

Pendant ce temps, le train de la mondialisation passe directement sous leur fenêtre sans les distraire de leur labeur stérile. Tous sont pourtant invités à monter.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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