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Textes d'opinion

Forum: ZLEA, une opposition largement menée par des non-élus

Si l’on se fie aux déclarations des organisateurs du Sommet des peuples des Amériques rapportées par La Presse du 14 mars dernier, «la mondialisation et le libre-échange n’ont rien apporté de positif aux démunis (…) les riches sont devenus plus riches et les pauvres plus pauvres». Loin d’être marginale, cette prétention a en fait été relayée par une bonne partie des journalistes et commentateurs qui se sont penchés sur la question.

Par exemple, le 26 mars, un autre quotidien montréalais titrait à sa une: «Survivre à la mondialisation». «Toutes les horreurs que l’on avait racontées sur la mondialisation se confirment», pouvait-t-on y lire. Les médias électroniques ne sont pas en reste: sur une chaîne de nouvelles continues, une femme, la voix entrecoupée de sanglots, explique à la caméra qu’elle s’oppose à la Zone de libre-échange des Amérique car le libre-échange aura pour effet, selon elle, d’empêcher son fils d’avoir accès à de l’eau potable. Et le journaliste de terminer son topo en qualifiant l’intervention de «moment fort» et de «très touchante».

Si les exemples de reportages faisant écho aux opposants ou aux personnes inquiètes face à la mondialisation sont légion, les médias n’ont pas accordé autant d’importance à ceux et celles qui sont convaincus des bienfaits du commerce. Faut-il pointer les médias du doigt? Pas nécessairement: une journaliste de CBC me confiait qu’«il est très rare de trouver des gens prêts à soutenir un point de vue aussi impopulaire que la défense du libre-échange».

En dépit de ce déficit de visibilité des défenseurs du libre-échange dans les débats actuels, les enseignements de la théorie économique n’en demeurent pas moins valides. Voici ce que la théorie économique nous apprend.

  • Les produits moins chers et plus d’emplois – La croissance qui vient d’une ouverture des marchés s’avère tout aussi profitable aux pauvres qu’au reste de la population car, tout comme le reste de la population, les pauvres accèdent aux produits étrangers à meilleur prix et ont davantage l’occasion d’offrir leur main-d’oeuvre aux industries exportatrices.
  • Des économies d’échelle – Dans la plupart des cas, ce premier impact favorable sur le revenu est renforcé par l’avènement d’économies d’échelle qui découlent de l’accès des producteurs nationaux à un marché plus vaste et qui mènent à une spécialisation de la production dans les domaines où chacun est le plus compétitif. Par exemple, les fabricants canadiens de pneus produisent désormais deux ou trois variétés de pneus destinés au vaste marché nord-américain, plutôt que plusieurs dizaines de variétés réservés aux seuls débouchés canadiens.
  • Les effets dynamiques – C’est par le commerce et l’investissement international que les économies périphériques récoltent les bienfaits des investissements voisins en recherche et développement. Les nouvelles techniques, le know-how et les méthodes d’organisation peuvent ainsi se diffuser d’une économie à l’autre dans le cours normal des échanges de biens et de capitaux.

De la théorie, il faut maintenant passer aux preuves observables «sur le terrain». Une recherche conduite par deux économistes de la Banque mondiale, D. Dollard et A. Kraay confirme ce que la théorie économique nous enseigne: la croissance économique profite à tous, riches ou pauvres et l’un des facteurs qui favorisent le plus cette croissance est l’ouverture des marchés. (Les lecteurs intéressés trouveront le texte intégral de l’étude de même qu’une adaptation française de 4 pages sur le site de l’IEDM).

Avec un échantillon très vaste portant sur 125 pays et s’étalant sur près de quatre décennies, Dollard et Kraay ont démontré que, en moyenne, les revenus des 20% les plus pauvres augmentent, en période de croissance, au même rythme que le revenu moyen. Autrement dit, proportionnellement parlant, les pauvres profitent en général de la croissance économique tout autant que le reste de la population. Ainsi donc, les militants antimondialisation qui prétendent avoir à coeur le bien-être des pauvres devraient favoriser des politiques économiques pro-croissance, ce qui inclut le libre-échange, plutôt que d’adopter à l’égard de ces politiques une attitude méfiante voire même carrément hostile.

Selon le cliché véhiculé par les partisans antimondialisation, le libre-échange ne profiterait qu’aux riches et qu’aux grandes multinationales creusant ainsi les inégalités. Or, si l’on prend la proportion du commerce extérieur (importations plus exportations) par rapport au Produit intérieur brut (PIB) pour mesurer l’ouverture des frontières, on constate qu’il n’y a pas de lien entre, d’un part, cette ouverture et, d’autre part, la dispersion du revenu. Statistiquement, ce sont deux phénomènes indépendants. Autrement dit, il est faux de prétendre que le libre-échange, en soi, provoque davantage d’inégalités.

Qui plus est, selon l’édition 2000 du rapport annuel Economic Freedom of the World, la liberté économique réduit l’inégalité des revenus. Même si un lien catégorique entre les deux variables est difficile à établir, il apparaît, règle générale, que les pays ouverts ont une distribution des revenus plus égalitaire.

La majorité silencieuse

Il est intéressant de constater que, tandis que les médias relaient quotidiennement le message des opposants à la mondialisation, la majorité de la population, elle, demeure convaincue des bienfaits de l’ouverture des frontières au commerce. Selon un sondage mené par la firme Sondagem, du 23 au 27 février 2001, 67% des répondants estiment que «l’élargissement de la zone de libre-échange à tous les pays de l’Amérique latine va améliorer le niveau de vie des Canadiens».

Ceux qui remettent en question le caractère démocratique du Sommet de Québec sont d’ailleurs pour la plupart des non-élus, ce qui n’est pas le cas de ceux qui seront à la table du Sommet. À titre d’exemple, le Brésil sera représentée par Fernando Henrique Cardoso, fondateur du parti de la social-démocratie brésilienne, élu en 1994 avec 54,3% des suffrages exprimés et réélu en 1998. L’Argentine sera quant à elle représentée par Fernando de la Rua, élu en 1999 avec 48,7% des suffrages à la tête d’un parti de centre-gauche. Pour le Chili, se sera Ricardo Lagos Escobar, premier socialiste porté au pouvoir depuis Allende avec 51,32% des votes. On pourrait multiplier les exemples. En fait, les 34 pays représentés organisent des élections démocratiques et doivent donc rendre des comptes à leurs électeurs. On ne peut pas en dire autant de ceux qui s’apprêtent à monter aux barricades pour faire dérailler le Sommet.

Bien sûr, on ne peut pas présumer du résultat des négociations complexes qui conduiront à la mise en place de la ZLEA. Ces longues négociations multilatérales portent en elles le germe d’un important effet pervers en ce qu’elles peuvent transformer le «free-trade» en «managed trade». En effet, les accords de libre-échange mettent souvent l’accent sur toutes sortes de façons subtiles de maintenir et gérer les restrictions au commerce au lieu de simplement éliminer les barrières. Autrement dit, ces ententes internationales, plutôt que de favoriser une véritable baisse des barrières tarifaires et non-tarifaires, pourrait devenir des documents « fourre-tout » qui viendraient en fait alourdir et bureaucratiser l’échange libre dans les Amériques.

Des groupes de pression, à droite comme à gauche, risquent de s’agiter afin d’exiger des clauses particulières qui auront cet effet. Ainsi, les véritables partisans du libre-échange ne sont donc, a priori, ni en faveur, ni contre la ZLEA et ce qui se tramera au Sommet de Québec. Toutefois, une chose est certaine, il nous faut plus d’éducation économique pour nous extirper de la superficialité qui caractérise actuellement le débat sur le libre-échange.

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM.

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