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Textes d'opinion

Le temps est venu de rémunérer les enseignants au mérite

Peu de gens s’étonnent du concept de rémunération au mérite. On comprend facilement que les travailleurs les plus performants récoltent les fruits de leurs efforts et que les moins efficaces aient des perspectives de carrière plus limitées. Un médecin incompétent finit par changer de métier. Des travailleurs ne touchent une augmentation que s’ils sont plus productifs. On pourrait poursuivre cette énumération.

Mais alors pourquoi pas les profs? On pourrait bien s’attendre à ce qu’ils soient rémunérés, eux aussi, selon le rendement. Après tout, pourquoi les enseignants maladroits toucheraient-ils le même salaire que les plus brillants? On ne reprochera à personne de supposer qu’un professeur doit être payé plus cher si ses évaluations de rendement sont meilleures ou si ses élèves font de nets progrès en lecture ou en arithmétique. Enfin, il serait aussi raisonnable d’imaginer qu’un prof participant aux activités parascolaires puisse toucher une prime pour ce travail supplémentaire.

Et pourtant, rien de tout cela n’entre en ligne de compte dans la rémunération des enseignants.

Seules l’ancienneté et la scolarité des professeurs déterminent leur salaire. On ne trouve aucune autre variable dans les barèmes de rémunération. Ainsi, Madame A, qui compte quatre ans d’études universitaires et deux ans d’enseignement, gagnera moins que Monsieur B, avec ses cinq ans sur les bancs de l’université et ses trois ans d’expérience.

Peu importe que la première enseigne mieux que le second. Et tant pis si Madame participe à plus d’activités parascolaires que Monsieur. Cela ne pèsera pas plus que toute la formation spécialisée qu’elle peut bien avoir dans sa matière. En effet, c’est le nombre d’années à l’université qui compte et non les matières étudiées. Monsieur B se classe avant Madame A sur le barème, un point c’est tout.

Les syndicats d’enseignants s’empresseront de défendre l’équité du système en place. Le barème, diront-ils, prévient les jugements subjectifs. Après tout, on aurait bien du mal à évaluer justement le rendement d’un professeur, ajouteront-ils. Et pour sceller leur argument, ils avanceront qu’un enseignant plus scolarisé et plus expérimenté a de fortes chances de mieux faire la classe.

Des études éclairantes

Ces arguments s’effritent au vu des résultats de recherche. En 1986, par exemple, le professeur d’économie Eric Hanushek, de l’Université de Rochester, a fait la synthèse de 147 études sur la corrélation entre le rendement scolaire des élèves et la scolarité des professeurs. Dix pour cent seulement de ces études ont permis de montrer une corrélation, et c’était malheureusement, une fois sur deux, une corrélation négative.

Hanushek a aussi révisé 109 autres études sur la relation entre l’expérience du professeur et le rendement de ses élèves. Les deux tiers seulement de ces études ont pu lier l’ancienneté de l’enseignant aux résultats de sa classe. Cette corrélation est plus substantielle que dans le cas de la scolarité, mais elle demeure plutôt faible.

En 1994, le Journal of Policy Analysis and Measurement a publié les conclusions d’une étude des chercheurs universitaires Mark Berger et Eugenia Toma, qui avaient comparé les résultats aux épreuves SAT (test standardisé que doivent passer tous les jeunes Américains qui veulent accéder aux collèges et universités) d’élèves de divers États, dont certains embauchaient seulement des professeurs détenant une maîtrise, alors que d’autres se contentaient d’un diplôme de premier cycle. Contre toute attente, les élèves des États les plus exigeants avaient des résultats inférieurs.

Si la scolarité des professeurs et leur ancienneté ont si peu d’effet sur les résultats scolaires, pourquoi continue-t-on d’asservir la rémunération à ces deux seuls facteurs? Pourquoi s’obstine-t-on à rémunérer les professeurs selon une grille où n’apparaît pas la moindre mesure d’efficacité?

L’exemple de Cincinnati

Il est quand même permis d’espérer, car certaines administrations scolaires nord-américaines ont su s’affranchir des barèmes statiques et complaisants. Aux États-Unis, on voit maintenant des conseils scolaires qui rémunèrent leurs enseignants selon le mérite et ce, à divers degrés. Le Conseil des écoles publiques de Cincinnati se propose même d’abolir l’ancien barème pour le remplacer entièrement par un système au mérite. Ce seront alors les directeurs d’école et d’autres administrateurs qui évalueront le rendement des professeurs, qui recevront également des primes pour leur participation aux activités parascolaires.

Il est intéressant de noter que la Fédération des enseignants de Cincinnati souscrit sans réserve à cette réforme. Jeff Bixby, un représentant syndical, a même déclaré au Cincinnati Enquirer: «Notre syndicat a participé à la création du nouveau système, et cela démontre bien que nous ne cherchons nullement à protéger les incompétents.»

La rémunération selon le mérite garantit que seuls les professeurs performants toucheront des augmentations. D’ailleurs, dans un sondage d’Ad Hoc recherche paru dans Les Affaires du 3 mars 2001, 96% des répondants se disaient d’accord avec l’évaluation des enseignants comme moyen d’améliorer le système d’éducation.

Nous pensons que le temps est venu de discuter sérieusement de cette possibilité.

 

Michel Kelly-Gagnon est président de l’IEDM, Peter Holle est président du Frontier Center for Public Policy (Winnipeg).

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