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Textes d'opinion

Nouvelle rareté – Une des explications de la hausse du prix du pétrole est la vive croissance économique en Chine et en Inde

La hausse des prix de l’essence suscite parmi les automobilistes des inquiétudes et des réactions hostiles bien compréhensibles. Des organismes font circuler des pétitions, adressées soit aux gouvernements soit aux compagnies pétrolières. Certains recommandent aux consommateurs de boycotter ces dernières, ou certaines d’entre elles.

Il est bien certain que chaque consommateur est libre de boycotter qui il veut, tout comme il est libre d’acheter ou de ne pas acheter. Cette liberté, comme la liberté de vendre ou de ne pas vendre, constitue d’ailleurs le fondement de l’économie de marché.

Les citoyens ont raison de s’en prendre aux taxes sur l’essence qui équivalent presqu’à la moitié du prix d’un litre d’essence au Québec. De même, ils ont raison de critiquer le prix plancher de l’essence que le gouvernement du Québec impose depuis 1996 – bien que cette restriction à la concurrence est inopérante ces temps-ci puisque que ce ne sont pas les guerres des prix qui sont à craindre.

Ce qu’il faut comprendre, c’est que les raisons de l’augmentation actuelle des prix sont étrangères au marché québécois ou canadien, mais relèvent plutôt de l’évolution du prix du pétrole brut sur les marchés internationaux. Le prix du brut compte pour au moins 30% du prix de l’essence; c’est sa principale composante du prix après les taxes.

Remettons les événements dans leur contexte. À partir de la fin des années soixante-dix (fin des chocs pétroliers) jusqu’à la fin des années quatre-vingt, le prix de l’essence au Québec a augmenté à peu près au même rythme que l’inflation: à toutes fins pratiques, il n’a pas bougé en termes réels. À la fin de 1989, un litre d’essence ordinaire en libre-service se vendait $0,66 (en dollars constants de 1992) à Montréal. Au début de janvier 1998, il avait diminué à $0,57. En mars 2004, il n’avait remonté qu’à légèrement plus qu’en 1989, soit $0,68 (toujours en dollars constants). Autrement dit, en tenant compte de l’inflation, de 1989 à mars 2004 le prix de l’essence n’a presque pas augmenté. Peut-on en dire autant de bien des produits de consommation?

C’est en avril et en mai 2004 que les fortes hausses se sont produites.

Cette augmentation du prix de l’essence suit celle des prix du pétrole brut sur les marchés internationaux. Après le sommet de 1979, et à l’exception d’une pointe temporaire à l’occasion de la première guerre du Golfe, le prix réel du pétrole brut a diminué jusqu’en 1998. C’est depuis 1998 qu’il s’est remis à grimper, entraînant avec lui le prix de l’essence.

Entre 1998 et avril 2004, le prix du brut sur les marchés internationaux est passé d’environ 10 dollars (dollars américains courants) le baril à 35 dollars. Au mois de mai, au moment d’écrire ces lignes, le brut a bondi à près de 40 dollars US. De 1998 à aujourd’hui, le prix du pétrole brut livré à Montréal a triplé. Le prix de l’essence est passé de $0,57 à près d’un dollar.

L’augmentation du prix du pétrole brut sur les marchés internationaux est due à plusieurs facteurs. Il y a d’abord des facteurs conjoncturels, comme la croissance économique. Il y a également la guerre en Irak, les actes terroristes qui l’accompagnent et affectent la production pétrolière en Irak, ainsi que la constitutions de stocks stratégiques de pétrole par le gouvernement américain. Enfin, l’Organisation des pays organisateurs de pétrole (OPEC), dont les membres comptent pour près du tiers de la production mondiale, a réduit ses quotas de production en avril.

Il y a aussi des facteurs structurels qui jouent depuis 1998. La vive croissance économique en Chine et en Inde a exercé de fortes pressions sur les prix de tous les produits de base. Comme l’écrivait le Wall Street Journal, les gens de ces pays en développement commencent à changer leurs vélos pour des Toyota. L’augmentation des prix des produits de base comme le pétrole signale probablement une nouvelle rareté créée par le décollage économique du quart de l’humanité. L’augmentation des prix incite les Occidentaux à la conservation. Les partisans de la lutte à la pauvreté à l’échelle mondiale ne devraient pas s’en plaindre.

La progression future des prix du pétrole dépend de l’évolution de tous ces facteurs, ainsi que du développement de nouveaux gisements pétroliers ou de nouvelles sources d’énergie. Manifester contre les prix internationaux du pétrole n’a pas grand sens. Au pire, cela revient à prendre parti contre le développement économique du tiers de l’humanité et la conservation de ressources devenues plus rares.

Quant aux pétrolières intégrées (qui opèrent dans le raffinage et la distribution), il est difficile de prétendre qu’elles exploitent le consommateur. Prenons l’exemple d’Exxon qui, avec une capitalisation boursière de 281 milliards de dollars US, est la deuxième plus grande société commerciale au monde et la plus grande des pétrolières intégrées. La marge bénéficiaire de Exxon est de 6,40%, c’est-à-dire que sur chaque dollar de vente, elle réalise $0,06 de bénéfice après impôt (moyenne des cinq dernières années). Cela ne semble pas exagéré. Et n’importe qui peut acheter des actions de cette compagnie et partager ses profits.

Si quelqu’un croit qu’il est possible de produire de l’essence à moins cher et/ou de lever des capitaux auprès d’investisseurs et prêteurs en leur offrant un rendement moins élevé, il fera fortune rapidement… s’il a raison!

Donc, de deux choses l’une. Ou bien la flambée des prix actuelle signale une rareté temporaire créée par des phénomènes conjoncturels et transitoires, et les prix retrouveront bientôt des niveaux moins élevés. Ou bien la flambée des prix signale une plus grande rareté, et il est alors important, et même souhaitable, que les prix rationnent la demande et incitent ainsi les consommateurs à la conservation.

Michel Kelly-Gagnon est président de l’Institut économique de Montréal.

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