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Ainsi meurt le Commissaire à la santé

Ce n’est pas mon habitude de déplorer la disparition d’un organisme public. Pourtant, dans les conditions actuelles qui prévalent au Québec en matière de transparence, celle du Commissaire à la santé et au bien-être (CSBE), qui mettra fin à ses activités juste avant Noël, est un véritable scandale.

Pour ceux qui ne connaissent pas cet organisme, une de ses fonctions est d’informer le ministre de la Santé, les députés de l’Assemblée nationale et les citoyens sur la performance de notre système de santé.

Étant donné que celle-ci est généralement médiocre, les publications du CSBE se lisent rarement comme une lettre de félicitations. Le rapport qui a probablement fait le plus de bruit au cours des dernières années est celui expliquant que les urgences du Québec affichaient la pire performance dans le monde occidental. On peut deviner comment cela a dû être reçu dans certains bureaux du ministère…

Même si dans son plus récent et dernier rapport, le CSBE note une légère amélioration de l’attente moyenne aux urgences, il n’y a pas de quoi se réjouir. Un patient sur civière qui a quitté l’urgence après y avoir été soigné aura ainsi attendu une douzaine d’heures en moyenne en 2016-2017, tandis qu’un patient qui a dû en plus être hospitalisé aura attendu près de 23 heures sur sa civière. De plus, environ un patient sur dix quitte l’urgence sans être soigné.

Un autre rapport publié un peu plus tôt cet automne a encore une fois détaillé les performances gênantes de notre système de santé comparativement à ceux d’autres pays développés ou même du reste du Canada, et ça ne se limite pas aux urgences. Je vous donne quelques éléments en vrac :

  • À peine un Québécois sur trois (32 %) réussit à voir un médecin la journée même ou le lendemain, la pire performance parmi les pays étudiés (56 %), incluant le Canada (41 %) et l’Ontario (47 %);
  • Seulement 39 % des Québécois arrivent à voir un médecin spécialiste en moins d’un mois, encore une fois la pire performance (moyenne de 56 % ailleurs);
  • Quelque 5 % des Québécois ont omis de se présenter à un examen ou de suivre un traitement médical en raison des coûts, ce qui nous place au milieu du peloton. Ici, certains pays qui ont un régime mixte (privé-public) font mieux que notre système censément « gratuit ». Le Canada et l’Ontario aussi, d’ailleurs;
  • Le Québec est ainsi sous la moyenne des indicateurs parmi les pays étudiés sur les plans de l’accès aux services, de l’accessibilité financière, de la coordination des soins et de la gestion des maladies chroniques;
  • Malgré l’adage qui veut que lorsqu’on entre dans le système, on y est bien soigné, le Québec ne se démarque même pas pour ce qui est de la qualité des soins. Nous sommes dans la moyenne, pas plus. Le Canada en général fait mieux.

Tout n’est pas noir. Le Québec se classe plutôt bien pour ce qui est de la relation avec le médecin de famille (pour ceux qui arrivent à le voir…) et pour la planification des soins de fin de vie. Il reste que l’on a besoin d’indicateurs de performance objectifs, impartiaux et indépendants du pouvoir politique si on veut savoir où l’on se situe, et à qui se comparer si on veut s’améliorer.

Le Commissaire à la santé et au bien-être joue ce rôle essentiel, surtout quand ce qu’il publie est gênant pour le ministère ou notre système de santé en général. C’est précisément quand il met en lumière ses déficiences, qu’il les mesure et qu’il donne une incitation à la machine à se donner un coup de pied au derrière que le CSBE est le plus utile. En plus, ce n’est pas comme si l’organisme coûtait particulièrement cher. Avec un budget de fonctionnement d’un peu moins de trois millions de dollars, il représente moins de un dix millième des dépenses du ministère. En comparaison, l’Ontario dépense 30 millions par an pour l’évaluation de son propre système de santé.

À tout le moins, le CSBE devrait pouvoir poursuivre ses activités le temps que des indicateurs de performance publics, accessibles, complets, comparables d’un établissement à l’autre et faciles à consulter soient mis en place (on s’entend, ce n’est pas demain la veille). D’ailleurs, la diffusion de tels indicateurs ne sera pas à coût nul.

En mettant fin aux activités du Commissaire à la santé et au bien-être dans les conditions actuelles, le ministère va entretenir l’impression qu’il est plus intéressé à soigner les perceptions que les patients.

Patrick Déry is a Public Policy Analyst at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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