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Médicaments: la bombe à retardement du projet de loi 81

Dans un objectif de contrôle des dépenses à court terme, le gouvernement a adopté le projet de loi 81 en juin 2016. L'État, en modifiant la Loi sur l'assurance-médicaments, se donne ainsi la permission de procéder à des appels d'offres pour l'acquisition de médicaments génériques et de forcer les pharmacies à vendre un seul et unique produit. Concrètement, quand un fabricant de médicaments génériques donné remporterait un appel d'offres, son produit deviendrait le seul médicament disponible, peu importe le détaillant, qu'il s'agisse de Jean Coutu, Familiprix, Pharmaprix ou d'autres bannières.

Une telle loi aura des effets majeurs. Un fabricant qui remporterait un appel d'offres deviendrait l'unique fournisseur pour toute la province, et tous les œufs se retrouveraient ainsi dans le même panier. Lorsque tout l'approvisionnement repose sur un seul fabricant, le risque de pénuries augmente, comme cela est déjà arrivé dans le passé.

La crainte de voir davantage de pénuries survenir a trouvé écho chez plusieurs acteurs du médicament, qui ont réitéré ce point lors des audiences publiques, peu avant l'adoption de la loi.

La Coalition Priorité Cancer a elle aussi recommandé au ministre de la Santé Gaétan Barrette de ne pas aller de l'avant avec son projet de loi.

Même si des mécanismes sont prévus dans la loi afin de réagir rapidement à une éventuelle pénurie, ils pourraient s'avérer insuffisants si l'appel d'offres a eu pour conséquence que les fabricants « perdants » ont cessé de produire un médicament. En tous les cas, les risques d'une pénurie temporaire ne peuvent être éliminés, avec les conséquences que l'on peut deviner pour les patients. Pourquoi exposer les patients à de tels risques alors que le marché fonctionne?

Les bienfaits méconnus des médicaments

Si certains bienfaits des médicaments d'ordonnance sont évidents, d'autres sont largement sous-estimés par nos décideurs publics. On a tendance à l'oublier, mais ce ne sont pas les soins hospitaliers eux-mêmes qui sont responsables de l'augmentation de l'espérance de vie des dernières décennies, mais bien les médicaments.

En effet, selon l'économiste Frank Litchtenberg, près des trois quarts de l'augmentation de l'espérance des dernières années s'expliquent par les progrès de l'industrie pharmaceutique.

De plus, les médicaments permettent de libérer des ressources dans le domaine de santé, puisqu'il est moins coûteux de traiter certaines maladies avec des médicaments qu'avec des soins hospitaliers. Ainsi, chaque dollar dépensé en médicaments permet d'épargner davantage ailleurs dans le système de santé. Finalement, il convient de souligner qu'un très grand nombre de médicaments permettent de réduire la durée des périodes d'invalidité et d'hospitalisation, et donc d'accélérer le retour au travail des gens malades. 

Ainsi, l'accès rapide et stable aux médicaments représente une des clés importantes d'un système de santé efficace qui améliore la qualité de vie des Québécois. Des ruptures de stock et des pénuries priveraient les Québécois des bénéfices des produits pharmaceutiques. Elles pourraient aussi augmenter la demande de soins hospitaliers et, par conséquent, susciter une augmentation des dépenses publiques.

La bombe à retardement

Jusqu'ici, l'entrée en vigueur de la loi 81 n'a pas changé grand-chose dans la vie des patients et des entreprises. Des négociations sont toujours en cours et les premiers appels d'offres devraient se faire au cours des prochains mois. Mais le risque d'une bombe à retardement plane toujours. On peut seulement souhaiter qu'elle n'explose pas trop fort.

Quand l'État décide d'imposer des pratiques à une industrie au complet, il s'immisce dans des activités économiques et commerciales. L'État n'étant pas omniscient, il est incapable de tout prévoir et des conséquences inattendues peuvent survenir. Ces conséquences peuvent avoir des coûts socio-économiques considérables.

Dans le cas présent, les risques de pénuries représentent seulement une des multiples conséquences imprévisibles de l'action gouvernementale, et il est encore trop tôt pour en connaître l'ampleur. Cependant, il y a d'excellentes chances pour que les effets pervers de la loi surpassent les bénéfices qu'on attend d'elle.

Enfin, il y a un dernier aspect plus fondamental à considérer, et qui concerne la relation privilégiée entre un patient et les professionnels qui s'occupent de sa santé. Qui devrait décider de ce qui est bon pour votre santé, et à qui faites-vous le plus confiance? À votre médecin et à votre pharmacien, ou à l'État?

Jasmin Guénette is Vice President of the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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