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Airbnb : attention on vous traque !

La sous-location sur Internet d’appartements entiers, d’une chambre ou d’un divan est un phénomène récent. Les mesures prises pour le décourager et le traduire en justice pourraient suggérer qu’il s’agit d’une activité hautement dommageable pour la société. La réalité est un peu différente et les moyens déployés pour le combattre sont d’une ampleur absolument ridicule.

L’arrondissement du Plateau-Mont-Royal emploie des détectives privés pour infiltrer et débusquer les gens qui sous-louent leur appartement sur Internet. Aux grands maux les grands remèdes, on fait comme dans Donnie Brasco, où Johnny Depp jouait le rôle de Joseph D. Pistone, un agent du FBI sous couverture qui infiltre une famille de la mafia new-yorkaise après s’être fait recruter par un tueur à gages. Ou encore comme dans la série télévisée Omertà, où Luc Picard jouait le rôle d’un agent de la Sûreté nationale (sic) qui infiltre la mafia montréalaise lors d’une guerre qui oppose différentes familles du crime. Est-ce qu’on n’est pas en train d’exagérer?

J’ai moi-même été un grand utilisateur d’Airbnb, l’une de ces plateformes où on peut proposer un hébergement. Pas à Montréal, mais principalement dans le sud de la France. J’habitais à Marseille, dans le Sud-Est et enseignait deux jours par semaine à l’École d’économie de Toulouse, quelques 450 kilomètres plus loin dans le Sud-Ouest. Je n’étais pas à plaindre, mais mon revenu mensuel était moins important qu’un travailleur au salaire minimum à temps plein. Me louer une chambre ou aller à l’hôtel, en plus de payer mon loyer, était hors de mes moyens. Les plateformes de sous-location m’ont permis de rendre cette situation viable financièrement.

Parmi mes hôtes Airbnb il n’y avait pas de tueur à gages, ni même de fraudeur fiscal, mais des gens qui avaient une chambre disponible dans leur logement et essayaient de joindre les deux bouts ou faire des rencontres. J’ai d’abord logé chez un couple d’artistes qui faisaient rouler une petite troupe de théâtre et qui avaient autant besoin d’un locataire Airbnb pour boucler leurs fins de mois que moi d’un hôte. Plus tard j’ai été chez un charmant couple près de la retraite et dont le fils était parti étudier dans une autre ville. Ils louaient leur chambre moins pour avoir un revenu supplémentaire que pour l’expérience et les échanges. Puis ce fut ce père de famille récemment divorcé, avec une maison qu’il n’arrivait plus à payer seul. Ou encore cette infirmière avec une maison immense en centre-ville, qui sélectionnait soigneusement ses locataires et où on y rencontrait d’autres occupants de partout dans le monde, comme dans l’Auberge espagnole.

Le point commun entre toutes ces expériences est qu’elles étaient mutuellement désirées et bénéfiques pour les deux parties. Chacun y trouvait son compte et personne n’était floué. L’historique de mes locations et les commentaires des hôtes sur mes visites montre que je n’ai pas été incivile, ni bruyant. Je ne crois sincèrement pas que mon va-et-vient ait même été remarqué. Quelle aurait été la légitimité de la municipalité de manigancer des stratagèmes pour décourager ces échanges?

Surtout, ce genre de pratique et les lois qui autorisent Tourisme Québec à donner des contraventions complètement hallucinantes, allant de 2500 $ à 25 000 $ selon Vincent Larouche dans La Presse, limitent la capacité des plateformes de location à créer de la valeur pour la société. Des espaces d’hébergement existent mais ne sont pas utilisés et les plateformes de sous-location permettent à ces ressources de trouver preneurs. En créant un marché, pour ce qui serait sinon du capital mort les locataires, les hôtes et la société sont tous mieux lotis qu’ils ne le seraient sinon.

Souvent il est implicite à ce débat que ces sous-locations feraient augmenter le prix des loyers. Les gens qui sont concernés par le prix des loyers devraient plutôt jeter leur dévolu sur la raison principale pour laquelle les loyers sont chers dans les grandes villes : les plans d’aménagement urbain. Une étude de 2002 qui fait autorité en économie de l’urbanisme constate que dans les grandes zones métropolitaines américaines 90 % de la différence entre le prix de vente des maisons et leur coût de construction vient de ces plans et en particuliers des lois de zonage.

Les moyens utilisés pour combattre un phénomène qui profite très largement à la société et à des gens parfois dans le besoin sont complètement ridicules. Si on voulait vraiment s’attaquer à la crise du logement on s’intéresserait aux vrais facteurs des loyers élevés. Jamais on n’arrivera à mettre un détective privé derrière chaque étudiant qui veut louer son divan.

Mathieu Bédard is Economist at the Montreal Economic Institute. The views reflected in this op-ed are his own.

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