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Le virage soviétique d’Ottawa

La version anglaise de l’hymne national canadien contient un vers qui m’a toujours plu : « our land glorious and free » (notre terre glorieuse et libre). Malheureusement, peut-être faudra-t-il le modifier prochainement, car si le projet de loi C-30 est adopté, nous nous sentirons nettement moins libres.

Cette loi obligerait les entreprises de télécommunications à installer des systèmes de surveillance électronique destinés à intercepter et à enregistrer les communications, ainsi qu’à fournir à la police, aux services secrets et au Bureau de la concurrence des renseignements sur leurs abonnés : nom, adresse, numéro de téléphone, adresse courriel, et numéro de protocole Internet. Les fournisseurs de services Internet deviendront donc, malgré eux, des professionnels de l’espionnage au service de Big Brother.

Pour faire taire les détracteurs, Ottawa prétend qu’il s’agit d’une « Loi sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs » (titre abrégé). Qui voudrait s’opposer à une loi apparemment si vertueuse? Cependant, il ne s’agit là que d’un abus de langage perfide. Les termes pédophile, pornographie juvénile, ou cyberprédateur n’apparaissent nulle part dans le texte. Plutôt curieux pour une loi contre l’exploitation sexuelle des mineurs, non? Quant au Bureau de la concurrence, depuis quand traque-t-il les pédophiles? En fait, si Ottawa fait appel à un argument aussi émotif, c’est pour occulter qu’il s’agit réellement d’une « Loi sur les enquêtes visant les communications électroniques criminelles et leur prévention » (titre complet). Ce sont donc les communications de toutes sortes qui pourront faire l’objet de surveillance.

Ottawa affirme que les informations visées respectent notre vie privée, qu’elles s’apparentent à celles disponibles dans un annuaire téléphonique. Peut-être! Mais quand on les croise avec d’autres données, elles peuvent révéler les sites que nous visitons, les textes que nous lisons et les vidéos que nous visionnons pour finalement dresser notre profil et assurer notre traçabilité.

Qu’importe, le citoyen honnête n’a rien à craindre, n’est-ce pas? Pas nécessairement. La loi énonce que les autorités peuvent exiger des informations à des fins de « prévention ». Elles pourront donc ratisser large et exiger des informations sur un individu sans que celui-ci soit soupçonné d’activités criminelles et sans qu’il fasse l’objet d’une enquête. Vous faites une recherche sur l’uranium ou sur l’agent orange? Attention, vous pourriez être considéré comme un terroriste potentiel et faire l’objet d’une cyberfilature. Ne nous leurrons pas: si cette loi est adoptée, nous craindrons constamment que nos recherches sur Internet soient mal interprétées.

Cette situation rappelle l’époque soviétique où, sous prétexte d’identifier les ennemis de l’État, le Kremlin épiait les faits et gestes de citoyens, sans oublier leurs paroles. Personne n’osait parler, pas même dans l’intimité des foyers, car tout le monde craignait d’être sur écoute. Aujourd’hui, c’est Internet que les gouvernements veulent contrôler, et Ottawa a choisi de se cacher derrière le prétexte des cyberprédateurs pour s’octroyer le droit de fouiner dans nos affaires.

Le projet de loi C-30 est le début de la cybersoviétisation. S’il est adopté, aucun retour en arrière ne sera possible. Les libertés perdues le sont à jamais. Soyons-en conscients!

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec
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