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Fiction économique

C’est fait. Nous sommes de nouveau en campagne électorale. Comme d’habitude, les candidats tenteront de se donner du galon en rabaissant l’autre, et pendant un mois, nous serons les spectateurs forcés du concert d’insultes et de propos méprisants auquel s’adonneront les chefs de partis.

C’est d’ailleurs déjà commencé. Toutefois, ce qui est le plus pénible à écouter, ce sont les aberrations économiques que certains déclament avec ferveur et conviction. L’une d’elles, et non la moindre, concerne les réductions du taux d’imposition du revenu des sociétés.

Depuis des mois, le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, et le chef du NPD, Jack Layton, dénoncent les baisses d’impôts accordées aux entreprises par l’administration Harper, et en ont fait un enjeu suffisamment important pour renverser le gouvernement et déclencher des élections. En somme, ils estiment que la réduction de l’impôt sur les bénéfices des sociétés est un cadeau que l’on fait aux entreprises au détriment des individus.

Ce discours accrocheur, voire carrément populiste, est néanmoins mensonger. Faire croire aux familles qu’elles seraient avantagées par l’abolition des coupures d’impôts des sociétés, c’est faire du capital politique sur une fiction économique.

Ce qui relève de la fiction, c’est le fait de considérer l’entreprise comme une entité à part entière. Or, quel que soit son statut juridique, une entreprise n’est qu’une abstraction qui ne peut exister sans les individus qui la constituent et qui gravitent autour d’elle. Ceci signifie que ce ne sont jamais des entreprises qui supportent véritablement le fardeau de l’impôt. Au contraire, ce sont des êtres humains bien réels qui finissent toujours par ramasser la facture.

Dans certains cas, l’entreprise refile tout bonnement l’impôt aux consommateurs par l’entremise de hausses de prix. On pense faire payer les « vilains capitalistes », mais en fait ce sont tous les Québécois qui passent à la caisse, y compris les plus démunis qui peinent à joindre les deux bouts.

Dans d’autres cas, l’entreprise rattrapera les sommes payées au titre de l’impôt en offrant des salaires moins intéressants à ses employés. L’impôt des sociétés s’apparente alors à un impôt sur le revenu auquel tous les travailleurs sont soumis, et particulièrement ceux dont l’entreprise peut facilement se passer.

Finalement, le coût additionnel que constitue l’impôt peut simplement réduire les bénéfices de l’entreprise et, par ricochet, les dividendes et autres formes de rémunérations reçus par le propriétaire et les actionnaires. Or, de quoi dépendent les rendements privés, de la Caisse de dépôt et placement du Québec, et des nombreux autres véhicules d’épargne dont nous comptons tirer des revenus de retraite? Des bénéfices des entreprises ! Imposer lourdement les entreprises, c’est donc saboter nos revenus à la retraite.

Ce n’est pas tout. Tout comme une taxe sur la malbouffe décourage la consommation de ce type d’aliment, l’impôt des sociétés réduit les profits et décourage l’entrepreneuriat. Or, plus les entrepreneurs sont rares, moins il se crée d’emplois et plus les chômeurs sont nombreux. En somme, que l’on soit consommateur, travailleur, épargnant, chômeur ou entrepreneur, nous faisons tous les frais de l’impôt des sociétés. Ce n’est pas une question d’allégeance politique, mais de gros bon sens.

Au cours des semaines à venir, on nous répétera inlassablement qu’il est nécessaire d’annuler les réductions d’impôts. Dans certains cas, ce sera par opportunisme politique. Dans d’autres, ce sera la manifestation d’une incompréhension totale des rudiments de l’économie. Toujours est-il qu’il y va de notre responsabilité de ne pas nous laisser flouer par les fictions économiques qui déferleront la manchette.

Nathalie Elgrably-Lévy is Senior Economist at the Monreal Economic Institute.
* This column was also published in Le Journal de Québec.

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