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Les marchands d’illusions

On peut carburer sur des illusions pendant un certain temps, mais pas indéfiniment. La réalité finit toujours par nous rattraper.

Ainsi, le gouvernement conservateur a dû avouer ce que tout le monde savait déjà, soit que le Canada est incapable d’atteindre les objectifs qu’avait fixés le précédent gouvernement libéral en ratifiant le protocole de Kyoto en 2002.

Jusqu’à ce réveil inopiné, tout baignait: sous l’effet lénifiant des discours officiels et des plans d’action tous plus vertueux, nous vivions depuis neuf ans dans l’illusion tranquille que nous faisions notre effort pour «sauver la planète», en dépit des chiffres qui montraient une croissance inexorable des émissions de gaz à effet de serre (GES). Pour atteindre les objectifs du traité, il aurait fallu des moyens bien plus considérables que ceux prévus par l’ancien gouvernement libéral, et surtout, commencer bien plus tôt.

En Ontario, les centrales électriques alimentées au charbon fournissent le cinquième de l’énergie produite dans la province. Avant d’être élu en 2003, le premier ministre Dalton McGuinty avait promis de fermer ces sources de polluants atmosphériques au plus tard en 2007.

Pour réaliser ce projet pharaonique, son gouvernement aurait dû prendre une pléthore de mesures dès son arrivée au pouvoir, dont la mise en chantier de nouvelles centrales moins polluantes. Devant l’ampleur et la complexité de ces projets, M. McGuinty vient de reporter cette échéance en 2014.

Mais ce décalage entre l’ambition des objectifs et la modestie des moyens mis en oeuvre est loin d’être l’apanage des questions environnementales. Par exemple, l’ancien gouvernement du Parti québécois avait annoncé un plan de réduction de la taxe sur le capital: elle devait diminuer de 0,64% en 2002, à 0,375% en 2006, donc au-delà de la limite de son mandat. Or, le gouvernement actuel de Jean Charest, invoquant la précarité des finances publiques, a tôt fait d’en reporter l’échéancier, de sorte que le taux de cette taxe est encore à 0,525%.

Au fédéral, le ministre des Finances Jim Flaherty a poussé cette tactique d’un cran. Dans son budget de mai 2006, il annonçait que le taux d’imposition général des sociétés serait réduit à compter du 1er janvier 2008, donc 19 mois suivant l’annonce. Une éternité en politique, surtout pour un gouvernement minoritaire.

Comment expliquer ces nombreux écarts entre l’ambition des objectifs à long terme et la modestie des moyens mises en oeuvre à court terme pour les atteindre?

Ces écarts permettent aux gouvernements à la fois de donner espoir au groupe d’intérêts auquel la promesse est destinée, et de respecter la contrainte du réel.

Mais compte tenu des nombreux exemples où les gouvernements ont dû admettre que des objectifs à long terme établis antérieurement étaient inatteignables, pourquoi persistent-ils à en fixer? C’est que cette tactique reste efficace du point de vue politique.

Plusieurs continuent de croire que les gouvernements travailleront à atteindre des objectifs dont ils ne seront pas redevables, parce qu’ils sont situés au-delà de l’horizon électoral. Au fond, c’est à nous, électeurs, de changer notre façon de lire les plans gouvernementaux. La prochaine fois qu’un ministre nous promettra mer et monde pour dans 10 ans, ne retenons que ce qu’il s’engage à faire d’ici la fin de son mandat.

Paul Daniel Muller is President of the Montreal Economic Institute.

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